«Décentralisation et participation citoyenne , un projet politique sous les décombres des pouvoirs autoritaires en Haïti»

«Les acteurs locaux face au projet constitutionnel de la décentralisation  (1987-2023)” est l’une des préoccupations à l’ordre du jour dans un contexte dans lequel la participation citoyenne se retrouve sous les décombres des pouvoirs autoritaires en Haïti. Et, beaucoup se prêtent à se demander quelles sont les retombées de multitude formations, colloques, conférences et projets sur les collectivités territoriales en tenant compte du recul dans les pratiques de décentralisation en Haïti durant différentes conjonctures. Les approches sont variées au sujet des collectivités territoriales d’autant plus que certains projets politiques sont contraires à la promotion de la participation.

Nous nous rappelons l’annulation des résultats des élections pour les membres des assemblées locales par la dernière législature pour avoir constitué sans doute un accroc au plein pouvoir d’un secteur politique ou d’un autre. Un député ne tend-il pas à se substituer à un maire ou un conseil de CASEC en empiétant sur les prérogatives de ces élus ?Il est un fait que la question de la décentralisation et la participation citoyenne contraste avec la tendance politique dominante des années 1980 relative  à la promotion d’une démocratie restreinte. D’où la perspective des conservateurs des années 1980, une plus grande autonomie de l’exécutif (la présidence) par rapport à la participation directe des mandants représentés par le Parlement (Espinal,1987), n’en parlons pas des collectivités locales. 

Paradoxalement durant la dictature des Duvalier la constitution de 1983 vient définir la commune pour la première fois comme une collectivité territoriale ce, textuellement dans son article 5 , à savoir : » la commune est une collectivité territoriale appelée à s’administrer de façon autonome par des conseils élus au suffrage universel » (ibid, p43). Rappelons que ce n’était pas un cadeau donné au peuple, c’est le prix des luttes pour les droits à l’association et à la participation.Si les assemblées locales ont été mises en place , elles n’ont qu’un rôle figurant avec des relations quelques fois instrumentales avec les pouvoirs centraux et les parlementaires en exercice. Dans la conjoncture de 2001-2003 , les entités locales étaient en butte à la domestication du pouvoir politique contrôlé par un seul parti et courant politique.La participation se trouve aussi jugulée, dans la foulée des redditions de pouvoirs de transition et les absences intempestives d’élections libres et démocratiques pour le renouvellement des membres de pouvoirs locaux.Ce sont des intermèdes répétitifs de fonctionnement des agents intérimaires dans les mairies nommés et à la solde de l’exécutif.

On comprend les mobiles des acteurs qui interviennent pour modifier la Constitution et la vider de plus en plus de son contenu sur la promotion de la participation citoyenne. N’a-t-on pas constaté « l’opération césarienne » dans l’amendement de la Constitution haïtienne de 1987 dans sa version française qui révoque les prérogatives des assemblées locales dans le choix des juges du Conseil électoral permanent en accordant cette primauté aux trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et retourner au statu quo.

 La constitution de 1987 stipule ce qui suit : »le peuple haïtien proclame la présente Constitution…pour instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective ».

 De 1987 à 2023 quel bilan peut-on constater dans le projet constitutionnel de décentralisation et de l’implication des acteurs locaux? Une tentative de réponse à cette question nous renvoie avant tout à la relation d’appropriation de connaissances et pratiques de participation citoyenne en guise d’une récupération critique  des expériences et luttes pour la décentralisation.

Aussi est-il crucial la relation à la connaissance,  si l'on voudrait relever de retombées des formations sur les collectivités territoriales. Dans la pratique courante, la connaissance s’impose dans l’ordre d’un fétichisme dans la mesure où se priorise la suprême-Théorie appelée à résoudre tous les problèmes alors que la finalité n’est pas toujours de résoudre un problème donné. L’individu se limite à un niveau de conscience naïve ou pré-critique pour expliquer les phénomènes à partir de considérations d’ordre naturel ou simpliste. C’est le recours au fatalisme qui s’associe bien souvent aux réponses de type populiste, paternaliste ou clientéliste. L’individu s’adonne à une participation de fait en accordant la voix aux aînés (aux notables et des secteurs verticaux). Dans ce cas, la participation est conçue comme une faveur ou le fruit de la bonne volonté des dirigeants. L’institution est réduite à ses dirigeants ce qui relève d’un modèle mécaniciste d’autant plus le Ministère de l’Intérieur et des Collectivites Territoriales constitue un accroc à la participation malgré la référence à l’autonomie de la commune par exemple faite dans le cadre de la constitution du 29 mars 1987.

D’un autre point de vue, tout est légué à la méthode comme finalité à l’organisation de toute activité systématique. Le système social donne lieu au consensus et l’acteur à une marge d’autonomie à pouvoir participer dans les décisions et la mise en place des initiatives. Il est important d’accéder au savoir sur les collectivités et la décentralisation non pas comme finalité d’action, mais surtout comme moyen. S’il est nécessaire des formations pareilles, la promotion de la participation dans le cadre de la décentralisation ne se limite pas exclusivement à la technocratie en dépit de la promotion de la question de la gouvernance locale à l’heure actuelle. Toutefois il est indispensable de combler le fossé qui existe dans l’accès à des connaissances sur les collectivités territoriales proprement dites par des élus locaux aussi bien que par les citoyennes et les citoyens.

Les collectivités territoriales à travers des assemblées locales s’impliquent au regard des prérogatives constitutionnelles à choisir des juges, à se prononcer sur le projet de développement tant national que local et sur l’orientation du budget local, municipal, départemental, voire national. Les acteurs locaux dans le cadre des collectivités territoriales deviennent donc de véritables concurrents du point de vue des élus du pouvoir législatif et des représentants de l’exécutif ayant une conception restreinte de la participation citoyenne. Le contexte politique général fait aussi état de processus restreint de participation. « Il s’agit de la formulation de procédures minimales nécessaires à une démocratie fonctionnelle, d’après Huntington et Bell, il n’est pas nécessaire de promouvoir une participation excessive pour ne pas détruire la démocratie ».On reproche aussi à la constitution de 1987 d’avoir accordé trop de place à la démocratie directe et la participation.Ce qui pourrait renvoyer à des conflits et le dysfonctionnement des entités locales prétextent les partisans de la moindre participation dans le processus politique.

 Ce n’est pas un pari perdant pour autant, d’où l’engagement citoyen dans la quête de participation au prix de luttes incessantes. Il s’agit de développer une conscience critique intégratrice ou transformatrice dans ce processus politique. Ce sont alors de sujets appelés à agir sur le cours historique et non un agent passif modelé dans le cadre d’un déterminisme naturel qui lui aurait dicté des comportements automatistes. En même temps que la relation entre la pensée et l’action transformatrice requiert la médiation des fins et si celles-ci ne veulent rester qu’à la phase de simples désirs, précisent la connaissance de son objet et des moyens en vue de sa transformation. Dans ce jeu dialectique, la connaissance s’obtient dans l’action agissante et dans la mesure qu’elle agit elle se connaît de manière intégrale. La théorie est le guide de l’action.

La participation dans le cadre de la décentralisation est un acquis d’une longue date. Elle remonte au-delà de la création de l’État d’Haïti. C’est en ce sens que des efforts soutenus se sont réalisés pour contribuer à indiquer des pistes de réflexion sur la construction d’un savoir-être chez les participantes et participants dans le cadre de cette conférence du 30 mars 2023 organisée par ILHO en collaboration avec l’Unite de Formation continue et d’Extension universitaire de la Faculté des Sciences humaines  de l’Université d’État d’Haïti.

Si la décentralisation est un acquis de vieille date,  il en demeure qu’elle est sujette aux tergiversations des conjonctures politiques et des rapports de force politique en ces circonstances. Les avancées de la réflexion sur la problématique sont aussi un atout. Il est révélé des approches qui ne dépassent pas des visées de déconcentration en lieu et place de décentralisation. 

La commune est l’une des collectivités territoriales reconnues par la Constitution haïtienne du 29 mars 1987 amendée avec des compétences à fournir des services à la communauté locale. Parler de la Formation des collectivités territoriales en Haïti est un sujet pertinent dans un contexte de remise en question de la participation elle-même consacrée comme fondement du fonctionnement de l’État haïtien. Il est stipulé dans la constitution haïtienne de 1987 ce qui suit : « … Le peuple haïtien proclame la présente Constitution pour instaurer un régime gouvernemental base sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective ». 

Parler de la Formation des collectivités territoriales en Haïti c’est se référer à la question de la participation et de la décentralisation qui est bien vieille dans l’histoire de la Caraïbe. Elle eut surgi comme une des formes de médiation déjà dans l’histoire coloniale de la Caraïbe. On devait alors remonter à Locke (1672-1704) pour ce qui concerne l’équilibre des pouvoirs. Ce que poursuit Montesquieu (1689-1755) qu’on a tendance à en faire la paternité. C’est une conquête des luttes pour l’autonomie dans les colonies au prix des contradictions existantes.

  L’État eut anticipé la formule de l’autonomisme dans la tourmente économique.

Les acquis d’autonomisation se sont consolidés et appropriés depuis 1793 avec les revendications des esclaves dont le suivi a été institutionnalisé par le Commissaire Sonthonax. Aussi les luttes de Goman ont-elles été inscrites dans la perspective de participation citoyenne en prônant des élections pour les conseils d’habitation., dans une lutte farouche qui a duré à peu près une vingtaine d’années, depuis 1807.

Dans ce contexte, les luttes de Goman n’étaient pas sans conséquence sur les menées de participation en terme d’assemblées sur les plantations mêmes et l’accès à la terre. Ces luttes persistent et ont marqué la conjoncture dans laquelle se définit le manifeste de Praslin issu des luttes paysannes pour l’accès à la terre et pour la participation face au caporalisme et à l’autoritarisme qui ont caractérisé ce moment.

 Des moments de régressions des  menées de décentralisation et de participation citoyenne correspondent aux projets de pouvoirs autoritaires et à la baisse dans l’acuité des luttes populaires , démocratiques et révolutionnaires.La décentralisation est dans la tourmente et sous les décombres de projets de pouvoirs autoritaires en Haïti.

Ce qui explique la baisse de l’importance de la commune.

 La constitution haïtienne de 1987 a consacré la décentralisation comme pilier de la participation démocratique, mais combattue par des menées des forces conservatrices et truquée dans des amendements sur mesure.

C’est la débâcle eu égard aux menaces du projet de retour au culte du présidentialisme dans la  préparation d’une nouvelle constitution amorcée durant l’épisode (2019-2021) de la présidence de Jovenel Moise. La terreur installée dans divers territoires du pays à cause des déplacements forcés massifs des communes  met en déroute les mécanismes d’appropriation du territoire par la population dans l’exercice de la participation citoyenne.

Nous concluons avec des hommages aux professeurs Jean Rénol ELIE, Ph.D.  et Tony CANTAVE , deux références vivantes sur la question des collectivités territoriales et la  décentralisation.MERCI.

Hancy PIERRE, professeur

Références bibliographiques- Jean Rénol ELIE, Participation, décentralisation, Collectivités territoriales en Haïti. Travail législatif et Décisions administratives depuis 1987, L’Imprimeur II, Port-au-Prince mars 2008.277 p.-Michel CROZIER (1977) et Erhard Friedberg, l’acteur et le système, Editions du Seuil, Paris, 500p. - Boris A.Lima. Epistemologia del trabajo social, editorial Humanitas, 3a edicion, Buenos Aires 1989.PP 31-36-Hancy PIERRE, “Haïti, séisme et humanitaire:” la décentralisation sous les décombres”Une action anthropique de  nos dirigeants politiques au lendemain du seime du 14 aout 2021.Publiédans HPN.Hancy PIERRE, “L’expérience politique haitienne du 17 octobre 2019 au 7 février 2021”, (en ligne) , http://cpam141o.com (Consulté le 30 mars 2023)-Hancy PIERRE”Haiti-politique.Dialogue national,crise de légitimité et ajustement structurel” in Le Nouvelliste, 24 novembre 2021- Sous la direction de Justin DANIEL ,Les iles caraibes-Modèles politiques et stratégies de développement, Editions KARTHALA,Paris 1996.364 p.

 

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