Deux cent vingt ans après sa création dans la ville de Grann Giton, la commune d’Arcahaie va s’imposer une nouvelle fois dans le calendrier des fêtes nationales. 18 mai 1803-18 mai 2023, le Drapeau haïtien continue de flotter malgré vent et marée, sur des dizaines, des centaines et milliers de toits, et à l’intérieur des milliers de résidences, comme une forme de résistance patriotique et citoyenne. Il flotte également dans de prestigieux bureaux, à côté des autres drapeaux de nos anciens bourreaux.
De nos héros, nous sommes tous fiers certainement, mais pas assez de nos contemporains, parmi les derniers dans le train des nations. Ce drapeau nous invite, à chaque occasion devant marquer sa célébration, à retourner dans les racines de cette nation pour mieux apprendre les secrets de sa fondation. En retour, nous sommes tous appelés à redorer son image à travers l'ordre esthétique, chromatique et mystique qui définit ses normes et sa valeur, dans la forme, le fond et le ton.
Don des hommes et des femmes qui ont combattu pour la liberté de tous esclaves de Saint-Domingue et dans le monde, pour l’égalité des races sans aucune discrimination, et pour la dignité des peuples noirs, le Bicolore haïtien comporte toutes les semences de la révolution de 1803 et du rêve d’un nouvel ordre mondial humaniste de 1804 que seul Haïti a portés, comme un lourd fardeau. Plus qu’un simple drapeau national à commémorer, c’est l’histoire et le réveil de toute une civilisation. C’est aussi l’héritage de la femme qui est consacré dans sa dimension symbolique.
Deux bandes chromatiques, des plus inspirantes, d’un simple regard porté vers cette oeuvre historique, c’est la mémoire de l’intelligence militaire qui animait les soldats de l’armée indigène qui prend son envol, dans la pensée et le coeur de chaque Haïtien, de tous les Haïtiens fiers d'appartenir à cette nation. Ce drapeau incarne à la fois la confiance qui a servi à rapprocher les esprits et à réduire les divisions dans les ranges des troupes. Ce drapeau symbolise aussi bien la conscience qu’il fallait inventer après plus trois siècles de déhumanisation de l’Homme noir.
Devoir de mémoire, obligatoire pourquoi pas ? Dans la souffrance et dans la résistance, ce bicolore a été le témoin des combats les plus déterminants, des batailles les plus décisives, et de la victoire militairement et mystiquement obtenue par les artisans de la dignité contre les colons esclavagistes racistes présents, complaisants dans l’exploitation des Noirs. On comprend pourquoi ce bicolore porte autant toutes les couleurs de la conscience noire, comme un phare qui brille et dirige la destinée de tous les peuples originaires d'Afrique.
De cette première République noire dans le monde, on retient ce symbole qui traduit manifestement une autre forme de révolution des couleurs. Celle qui persiste à réparer les torts de plus de trois siècles d’esclavage et de deux siècles d’exploitation. À travers ce symbole, on retrouve l’essentiel des messages traduisant la volonté d’exister de tout un peuple, les valeurs universelles de toute une civilisation, et la vision patriotique que la génération actuelle devrait à tout prix s’approprier pour ne pas se devenir orphelin de cet héritage.
Dommage pour les détracteurs de l'ordre 1804, qui, plus de 220 ans, après cherchent à souiller ce Drapeau, qui a déjà enfanté plusieurs autres drapeaux dans la région. En attendant de lui offrir un sanctuaire, un temple, un autel, un reposoir ou tout simplement un musée national, pour raconter son histoire, sa gloire et ses déboires, les Haïtiens d'ici et d'ailleurs, sont invités de manière intelligente et moins festive, à célébrer l’essentiel des messages de notre Bicolore, pour mieux découvrir les pouvoirs de ce symbole. Célébrer les couleurs de la conscience ou l’intelligence patriotique !
Dominique Domerçant
