Une décennie plus 3 années !

Des souvenirs reviendront de manière plus intense, dans l’après-midi de la douzième journée qui débutera la nouvelle année dans l’existence de tous les Haïtiens. Ce sont de nouvelles pages d’histoire que de nombreuses familles haïtiennes, parmi les survivantes, vont continuer à écrire depuis l’année 2010. Une décennie plus trois !    

Des survivants heureux de voir des jours, des décennies et des générations vieillir. Ils sont juste plus chanceux par rapport aux dizaines, centaines et milliers d’autres vies, des victimes qui ont payé le prix fort de nos erreurs, de nos irresponsabilités, de nos manquements, de nos manques de respect dans l’aménagement du territoire en Haïti.

Douze jours se suivent et ne se ressembleront certainement pas. 12 janvier 2010 et 15 août 2021. Ce sont de nouvelles dates inscrites dans l’agenda catastrophique de la mémoire collective des Haïtiens. Ce sont des histoires, des anecdotes qu’il faudra retenir, pour mieux nous faire revenir, pour mieux revivre les souvenirs de nos proches qui passent, qui partent et disparaissent au fur et à mesure dans nos souvenirs de plus en plus lointains.

Décennie plus trois, quatre, cinq, dix, cinquante, cent. Et après ? 

Des regrets certainement pour celles et ceux qui cultivent encore la conscience ou le sens de l’intelligence collective.  Des bouquets de regrets sur l’autel de la patrie morcelée. Sur les traces du mémorial. Ce sont également des regrets qui assurent la fertilité de l’hymne national. Rejet ou regret de ne pas voir aboutir tous les projets et les promesses de reconstruction des villes. 

 

Des regrets surtout de ne pas voir reconstruire surtout les hommes et les femmes, les enfants et tous les êtres qui devraient pouvoir changer de comportement.

 

Dommage !  Il est déjà très tard, une décennie plus trois. Toi et moi savons déjà comment s’est terminée cette histoire de projet de reconstruction de nos villes, du pays, dans cette forme d’assistance mortelle racontée par Raoul Peck !

 

Depuis, nos illusions se sont pratiquement déconstruites. Plus rien ne nous étonne. Il n’y a que les visites et les discours justes qui résonnent. Difficile, dans ce cas, de cacher cette réalité qui nous suit depuis plusieurs  années sans cesse. 

 

Dans cette ville complètement obscure durant cet après- midi, tous les esprits vagabondaient à la recherche du corps qu’il habitait, et que les décombres retenaient en dépit des blessures, des bras cassés, et d’autres membres écorchés. 

Décennie plus trois. Toi et moi, n’avons pratiquement pas appris la leçon. Cette leçon du va-et-vient de la terre. Les leçons qu’il fallait apprendre, puis enseigner et transmettre aux enfants qui sont nées entre 2000 et 2010.   

Décennie plus trois. C’est pratiquement trop tard. Car les quartiers de Jalousie se sont intimement rapprochés des bidonvilles de Canapé-Vert, qui à leur tour, prolongent la marche vers les quartiers de Carrefour Feuilles, en offrant cyniquement une ceinture catastrophique à la capitale.

De loin, la nouvelle vue de la ville de Canaan offre une belle destination aux quartiers misérables de Cité Soleil. Quoi demander de plus ? Ici, l’anarchie planifiée suit son cours sans pouvoir se heurter aux exigences des principes de base de l’urbanisme. Triste. 12 janvier 2010, 12 janvier 2023. Nous n’avons pas pu assumer pleinement la mission qui nous avait été confiée.

Dans les fosses communes où s’entremêlent les corps décomposés de ces anonymes, il y en a parmi eux, qui nous demandent des comptes à « Bawon ».

 

Dieu seul sait pourquoi ce sont eux, et pas nous autres, les survivants de 2010. N’est-ce pas une raison valable en plus, pour tenter de justifier cette chance en poursuivant la route, en continuant la marche, en préparant les générations futures à mieux développer de nouvelles connaissances, des compétences, et des comportements plus responsables face aux catastrophes en Haïti ? 

 

Décennie plus trois, l’existence continue entre l’absence et le silence de nos proches, qui font danser dans notre mémoire leurs sourires, des souvenirs, et des soupirs.

 

Dominique Domerçant

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