Les vérités cachées sur la fin du mandat décennal du Conseil de la Cour des comptes et du contentieux administratif (CSCCA)

Au regard de la Constitution de la République d’Haïti (art. 200 à 200-4), la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) est une institution indépendante chargée du contrôle des actes des Responsables de l’administration publique nationale. Ses attributions englobent le contrôle a priori (quoiqu’incompatible avec le contrôle a posteriori) sur les contrats publics et les budgets de la République. Elle contrôle et juge les comptes publics (actes de gestion des ressources publiques). Il en est de même pour les actes administratifs en litige impliquant des personnes physiques ou morales agissant pour le compte de l’État et des collectivités territoriales ou interagissant avec eux. Le décret du 23 novembre 2005 (Moniteur No 24, 10 mars 2006) portant l’organisation et le fonctionnement de la CSCCA, particulièrement en son article 5, participe de la démarche d’opérationnalisation des attributions des contrôles administratif et financier prescrites par la Constitution haïtienne en son article 205.

En tant qu’institution supérieure de contrôle (ISC), la CSCCA exerce de lourdes responsabilités constitutionnelles, légales et réglementaires. Ses attributions font prévaloir la nécessité qu’elle dispose constamment de compétences techniques dans ses différents échelons stratégiques et opérationnels. Elle fait partie du système de contrôle fondé sur le modèle romano-germanique comme la Cour des comptes de France. Les cours des comptes dans le monde bénéficient d’une attention et d’un intérêt particuliers dans des sociétés à systèmes ou régimes politiques différents. Ce grand intérêt se fonde sur la nécessité pour tout État d’exercer un contrôle rigoureux sur ses finances publiques nationales. C’est dans cette perspective que l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (en anglais International Organzation of the Supreme Audit Institutions (INTOSAI) émet des lignes directrices pour les aider à mieux accomplir techniquement leurs missions. Celles-ci concernent, entre autres, l’indépendance des ISC, la qualité de leur contrôle, les techniques d’organisation et d’exécution des travaux de contrôle.

Pour l’heure, vu l’importance de leurs appuis techniques dans les administrations publiques nationales, les ISC de 195 pays, dont Haïti, adhèrent à l’INTOSAI. C’est bien l’une des raisons pour laquelle l’Organisation des Nations Unies (ONU) a pris en 2011 la Résolution A/66/209 qui insiste sur la nécessité de « rendre l’administration publique plus efficiente, plus respectueuse du principe de responsabilité, plus efficace et plus transparente en renforçant les institutions supérieures de contrôle des finances publiques ».

État de fonctionnement de la CSCCA depuis 10 ans

Dans un diagnostic institutionnel rendu public en 2015, il a été constaté beaucoup de points d'inefficacité et d’inefficience inacceptables à la Cour. Il s’agit notamment du déséquilibre dans son mandat combiné à savoir l’exercice des contrôles administratif et financier, de son cadre juridique lacunaire, de l'incompatibilité de ses attributions de contrôle a priori et a posteriori sur les projets de contrats, de la non-informatisation ou la tenue archaïque des données, des membres du personnel démotivés (cf. : Document diagnostic 2015). Pour une institution qui vient de fêter en grande pompe ses 200 ans d’existence en 2023, la critique la plus tranchante est qu’elle n’arrive pas à s’imposer par des résultats proportionnels aux ressources qu’elle utilise.

Le diagnostic de 2016 à 2024 a accouché d’un plan stratégique de réforme avec un ensemble d’axes relatifs aux problèmes constatés notamment le statut des vérificateurs. Ces derniers devraient être transformés en un corps d’enquêteurs (art. 29-1 du décret de 2005). À cette époque-là, on s’attendait à constater, en fin de mandat du Conseil (2024), la réalité de la CSCCA transformée et améliorée après environ 8 années, ce qui doit être constaté à travers le bilan global des 10 années du Conseil dans une présentation des réalisations par année.

Réalité macabre de la CSCCA et ses conséquences sur l’administration

Vous pouvez constater les résultats postés sur le site web de la Cour. Seulement 26 arrêts de débet rendus après 10 ans de mandat, ce qui signifierait que le pays marche très bien : pas de vol, pas de détournement, pas de gaspillage, etc. Or, c’est un secret de Polichinelle que l’administration publique haïtienne devient de plus en plus inopérante. La corruption atteint des proportions lamentables. comme en témoignent les dernières interventions de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC). L’impact de la CSCCA sur la performance de l’administration publique est loin d'être positif. Ses actes de gestion et actions de contrôle ne sont pas perceptibles dans la réalité de l’administration encore moins dans sa propre réalité voilée.

Il est à souligner qu’aucune disposition de la législation haïtienne ne prive la CSCCA de la liberté de choisir ses sujets d’audit, de planifier, de conduire ses missions d’audit, ni de communiquer à qui de droit les résultats de ses travaux. Rappelons que certains des rapports de la CSCCA peuvent être soumis au Parlement et d’autres destinés au tribunal comme pour juger les comptes des comptables de deniers publics et ceux des ordonnateurs non compris les ministres et Premiers ministres.

En réalité, l'efficacité de la Cour a des conséquences désastreuses sur la performance de l’administration publique haïtienne. Un déni de contrôle ou un contrôle insignifiant des finances publiques dans le pays tend à augmenter la propension des Responsables publics au gaspillage, au vol, au détournement, à l'efficience voire à la corruption. Cette réalité criante affecte négativement l’administration centrale de l’État haïtien et celles des collectivités territoriales. La Cour publie quelques rapports comme ceux liés au fonds Petro caribe. Il faut souligner que les trois rapports de Petro caribe ne peuvent servir à rien en l’état où ils ont été publiés. Ils ne comportent que quelques grands constats globaux sans les précisions et décantations techniques nécessaires pour préparer la phase juridictionnelle. Cela signifie que les étapes les plus cruciales attendues par la société ne sont jamais accomplies par la CSCCA malgré les différentes promesses faites par le Conseil au cours des 4 dernières années. Pourquoi ces étapes les plus importantes relevant des opérations exclusives et internes de la Cour dans l’affaire Petro-caribe sont-elles restées lettres mortes ? La cause est-elle politique ou technique ? Les Conseillers s’entendent-ils ou se raccordent-ils les violons pour faire avancer le dossier ? Un fait est que ces étapes ne sont jusqu’à date jamais franchies alors qu’aucune explication acceptable du Conseil de la Cour des comptes n’a été donnée après plus de 4 ans de suspens.

Il faut souligner que les alinéas 9 et 10 de l’article 5 du décret sur la CSCCA exigent la certification des comptes de l’administration publique haïtienne. Des exigences qui ne sont jamais remplies non plus. En outre, l’article 16 de ce même décret dispose que « la reddition des comptes est une formalité annuelle d’ordre public et s’impose à tous les concernés : comptables de droit ou de fait ». Cela veut dire que la CSCCA doit auditer les comptes publics chaque année. En effet, une disposition juridique qui exige la reddition de compte annuelle avec accentuation expresse sur son « caractère d’ordre public » sans limitation ni exception aucune met la CSCCA dans l’obligation de donner l’exemple pour se faire respecter et accepter. Sinon elle risque de devenir de jour en jour plus inefficace.

Pour Transparency International, « En tant qu'institution clé dans les systèmes d'intégrité des pays, les ISC doivent être tenues de rendre compte de leurs propres actions en tant que gardiennes de l'intégrité. (…) » (Transparency International, 2010). Et quand il est indiqué à l’article 16 ci-dessus que la disposition s’applique à tous les comptables de droit ou de fait, cela signifie que la Cour, qui reçoit des crédits budgétaires au même titre que les autres institutions publiques, doit de son côté rendre compte à la société pendant qu’elle demande aux autres entités de produire leurs comptes. Le Conseil de la Cour aurait dû présenter chaque année un rapport détaillé des résultats de ses opérations et de la gestion des ressources publiques qui lui ont été allouées.

La Constitution exige que « … chaque année la CSCCA soumette au Parlement, dans les 30 jours suivant l’ouverture de la première session législative, un rapport complet sur la situation financière du pays et l’efficacité des dépenses publiques » (Art. 204). Or, aucun rapport de ce type n’a été produit et publié dans les délais requis. Le peu d’entre eux qui sont produits deviennent sans intérêt pour les acteurs et la société puisqu’ils ont été réalisés avec généralement un retard d’environ deux ans. Une institution inefficace, efficiente ou ne rendant aucun compte de sa gestion est-elle moralement apte à faire ces exigences à ses pairs ?

Le Conseil n’agit pas par l’exemple en n’ayant émis aucun rapport présentant, de manière transparente, l’emploi qu’il fait des ressources allouées à la CSCCA et ses résultats, par année encore moins pour les dix (10) années qui viennent de s’écouler. Le principe de la collégialité rend le Conseil de la Cour comptable des actes de gestion de ressources allouées à la Cour. Car des informations révèlent que le Conseil de la Cour participe dans toutes les activités opérationnelles de gestion quotidienne en lieu et place de l’Ordonnateur délégué qui devait s’en occuper au regard des articles 55 et 56 du décret du 23 novembre 2005 sur la CSCCA. Cette situation délicate dans laquelle se trouve le Conseil de la Cour va rendre ses actions difficiles dans l’administration publique nationale au point que certaines Responsables peuvent refuser de lui fournir des informations.

Conclusion

 Un minimum de bon sens laisse entendre que l'inefficience dans la gestion publique contribue à priver l’État et les collectivités territoriales de ressources publiques suffisantes pour fournir les biens et services nécessaires et à la population. Quand l’actuel Conseil n’inspire pas confiance dans l’administration publique nationale, les Autorités de l’État ne peuvent s’attendre à aucune collaboration possible ni de la part des employés et techniciens de la Cour ni de la part des autres entités publiques dont dépendent leurs résultats pour les prochains 21 mois. Cela conduira tout droit vers une spirale d’inefficiences institutionnelles qui mettront l’État haïtien en situation extrêmement difficile de pouvoir assumer ses différentes responsabilités envers ses citoyens. Et la situation du peuple va s’aggraver et les risques de troubles sociaux sont grands. Il convient de noter que les problèmes identifiés en 2015 à la Cour restent, pour la majorité, non adressés sauf deux avant-projets de loi rédigés depuis 5 ans, mais qui sont enfermés dans les tiroirs. Les informations disponibles révèlent qu’après environ 10 ans de gestion, il n’y a toujours pas un organigramme définitif, pas d’informatisation des données, pas de restructuration organisationnelle pertinente, pas d’amélioration dans le statut des employés qui deviennent de plus en plus démotivés et quittent en grand nombre l’institution.

  • Le conservatisme n'apporte rien pour le pays. En effet, dans une démarche de renforcement effectif de la CSCCA, les autorités de l’État se doivent de penser à garder cette institution en mode veille stratégique réelle en y introduisant de nouvelles dynamiques transitoires de réflexion. Cela permettrait d’y impulser des idées de changement en profondeur pendant que des débats sérieux vont être entamés sur la Constitution dans les deux (2) prochaines années. Plusieurs raisons justifient cette nécessité, mais nous nous limiterons à en évoquer deux :
  • La Cour exerce deux (2) fonctions incompatibles qu’il faut séparer parce qu’elles la mettent en position de juge et partie en même temps dans ses contrôles. Il s’agit du contrôle a priori sur les contrats en y donnant son avis motivé avant leur exécution et du contrôle a posteriori qu’elle devrait réaliser après leur exécution. Cette situation met le Conseil en situation de se juger lui-même, ce qui fait que certains rapports d’audit ne peuvent pas aboutir. Il arrive que des auditeurs de la Cour indexent le Conseil dans leurs rapports d’audit a posteriori pour des contrats qu’il (son/sa Président/e) a signés, mais présentant des irrégularités graves. On peut comprendre comment les enjeux sont grands puisque la CSCCA donne son avis sur tous les contrats publics. Pour libérer la Cour de telles attributions incompatibles, il s’avère indispensable qu’on les enlève des dispositions la concernant à partir d’un amendement constitutionnel puisque c’est la Constitution haitienne qui les lui consacre (Art. 200-4).
  • Le législateur est très clair sur la situation qui prévaut aujourd’hui avec la fin du mandat du Conseil. À l’article 60-2 du décret du 23 novembre 2005 sur la CSCCA, il peut se lire ceci : « En cas de retard enregistré dans le processus de renouvellement général du Conseil de la Cour, le Directeur général, en tant qu’Ordonnateur Délégué, s’occupera des affaires courantes touchant le fonctionnement des services ». Il dispose qu’au terme du mandat du Conseil, il ne reste que des fonctions résiduelles administratives à remplir par un simple Directeur général (ou peut-être Secrétaire général aujourd’hui). C’est ce qu’il faut appliquer jusqu’à la modification des textes régissant la Cour. Force est de constater que le Conseil joue des tours pour que ce poste ne soit ni créé ni comblé. Une telle tactique serait fomentée et mise en œuvre pour prétendre à un besoin du maintien du Conseil en poste à l’échéance de son mandat de 10 ans en violation flagrante de l’article 60-2 du décret du 23 novembre 2005 op cité.
  • Le Diagnostic de 2015 avait constaté le déséquilibre entre les deux mandats constitutionnels : le contrôle administratif et le contrôle financier. Les partisans de la loi et d'autres observateurs au pays le constatent aussi. Le contrôle financier prime sur le contrôle administratif puisque la vraie mission de toutes les Cours de comptes dans le monde est de s’occuper du contrôle des finances publiques. Il faut dès aujourd’hui planifier, dans les prochaines réflexions sur l’amendement constitutionnel, de lui enlever les attributions de contrôle administratif et de les confier à un nouvel organe.

En conséquence, tout acte de prolongation du temps d’intervention du Conseil de la Cour, ne serait-ce que pour une courte durée, est illégal et agacerait davantage la population haïtienne déjà aux abois et en colère contre l’État et ce Conseil de la Cour pour absence de résultats et de bilan vendable. Il est temps que les autorités de l’État assument leurs responsabilités sans parti pris ni démagogie devant la Nation. Leurs premiers actes laissent présager leur bonne volonté pour agir au profit de la société dans les prochains vingt et un (21) mois.

Les fonctions de contrôle a priori sur les contrats s’exercent toujours par des cadres techniques de la Cour. Avec la fin du mandat du Conseil vient le temps de mettre sur pied une commission pour réfléchir sur les problèmes diagnostiqués, devenus aujourd’hui, pour la majorité, plus profonds et plus graves, n’ayant jamais abordés de manière responsable pendant les 10 ans de mandat de ce Conseil. Cette commission de type mixte aura pour tâches de gérer les affaires courantes pendant cette transition dans une perspective de faciliter les débats essentiels sur les grands problèmes que le Conseil sortant n’a pas intérêt à adresser malgré quelques efforts non aboutis qu’il aurait semblé faire pendant les 10 années passées. Il faut chercher à solutionner les différents problèmes ci-dessus évoqués pour garantir le bon fonctionnement de cette institution en lieu et place des tractations et manipulations malhonnêtes pour prolonger le mandat du Conseil échu.

La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) représente l’ISC haïtienne à laquelle sont assignées de multiples missions et responsabilités par rapport à la majorité de ses pairs dans les différents modèles qui existent. Elle possède un caractère atypique rendant complexe sa gouvernance lorsque les dimensions techniques ne sont pas l’objet d’une considération systématique. C’est une institution éminemment technique. Toutes ses tâches sont exécutées par des techniciens (audit des comptes publics, avis sur les contrats, avis sur les budgets, rapports sur la situation financière, etc.).

C’est pour cela que des réflexions importantes sont nécessaires pour bien cerner les problèmes de la Cour, les attributions incompatibles, non pertinentes, encombrantes et inhabituelles aux Cours des comptes dans le monde. Certaines d’entre elles sont sources d’inefficiences à la Cour, car certains responsables en abusent au détriment de l’État. La politique est importante, mais les décisions politiques de sagesse sont indispensables aujourd’hui si l’on veut avoir des institutions juridiquement renforcées pour le bien du peuple.

En résumé, le décret du 23 novembre 2005 portant son organisation et son fonctionnement de la CSCCA est violé dans toutes ses dimensions (arts. 6, 9 et 9-1, 16, 28, 29 et 29-1, 37-39, 50, 53-55, 60-2). Pourquoi ? Qui est autorisé à violer des règles en vigueur ? Dans un état de droit, une règle de droit inadaptée ou inappropriée doit, malgré tout, être appliquée jusqu'à ce qu'elle soit modifiée ou remplacée. Lorsque ce Conseil viole toutes ces dispositions au su et au vu de toutes les autres entités publiques nationales qui devraient lui être redevables, la CSCCA perd sa légitimité morale de pouvoir les porter à respecter scrupuleusement les leurs. Voilà l’un des pièges dans lequel le système de contrôle public haïtien est tombé.

 Aujourd'hui plus que jamais il est impératif que la problématique de la CSCCA soit adressée par des personnes neutres qui n'ont pas participé à la violation systématique des règles en vigueur si les autorités de l'État veulent enfin montrer à la population leur volonté de construire le pays par des institutions fortes.

 

Jean Ardin NICOLAS

Master en Management public,

Ancien auditeur à la CSCCA

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