Portrait

Witensky Lauvince, boulimique de lecture

Witensky Lauvince, boulimique de lecture

Witensky Lauvince (1) vient de remporter le prix Jean Métellus sur une quarantaine de participants. Qui est ce Léoganais de vingt-six ans qui vit de lecture, de rêve et d’écriture ? Rencontre avec le poète.

« C’est un grand honneur pour moi de remporter le prix Jean Métellus. Je suis heureux et fier d’avoir obtenu cette distinction », nous dit-il. Il était dans sa chambre lorsqu’il a appris la nouvelle par courriel. C’était un samedi après-midi, le 4 mars. Il était sorti, laissant son portable en charge et à son retour il voit qu’il a manqué un appel WhatsApp. Il découvre dans le même temps un courriel émanant du prix Jean Métellus qui annonce le palmarès (il y avait une adresse électronique où envoyer les textes) et aussi un message d’Olivier Métellus, fils de Jean et président de l’association des Amis de Jean Métellus, regrettant de n’avoir pu le joindre.

Sa première réaction ? « J’ai senti mes pieds se soulever du sol, je me suis donc couché par terre et j’ai remercié le Ciel », raconte le pieux lauréat. Ses parents ont jubilé, tous ses amis l’ont félicité. Witensky est l’aîné de sa petite sœur, qui prépare le baccalauréat.

Ce n’est pas son premier prix. L’an dernier, il a remporté le prix international de l’Invention poétique, en Martinique, pour Brûler les ténèbres, Legs Éditions, 2023, qui sont partenaires dudit prix. Le recueil a été lancé au festival Mai.Poésie organisé par l’association Balisaille du 15 au 20 mai en Martinique, où il l’a signé. Il a également eu le prix italien ALUT pour la 19e édition du concours international de Théâtre et de Poésie, cette année. En 2020, il était aussi finaliste du prix international de Poésie Sur les traces de Léopold Sedar Senghor. Puis en 2022, il a reçu une mention spéciale au concours international de Poésie Matiah Eckhard.

À la question de savoir s’il considère le prix Jean Métellus comme sa vraie première grande reconnaissance, il a une réaction prudente. « Je pense que chaque distinction a sa valeur propre. Tous les prix que j’ai gagnés et les concours auxquels j’ai fait bonne figure ont eu des jurys internationaux de grand calibre. Je suis toujours fier et reconnaissant d’être distingué. Ce qui est particulier avec le prix Jean Métellus, c’est qu’il porte le nom qu’il entend perpétuer d’un immense écrivain qu’Haïti gagnera à connaître mieux. Jean Métellus a toujours célébré sa terre, chanté son pays ». Il souligne que Métellus a excellé dans plusieurs champs, rappelant qu’il fut neurologue, linguiste, poète, romancier, essayiste et dramaturge. Être le premier lauréat d’un tel prix représente pour lui « un grand honneur » quand on considère le parcours du célèbre écrivain mort en 2014 et la profondeur de son œuvre. 

Entre le moment où il a appris sa distinction et son départ d’Haïti pour la France où il devait recevoir le prix, quelques semaines se sont écoulées. Formalités administratives avec les associations notamment, puis démarches — fastidieuses pour non-Européens… — en vue de l’obtention du visa Schengen. Il ne semble pas être du genre à se plaindre. « Ça n’a pas été simple, se contente-t-il de dire. Il y a eu des complications, mais tout a fini bien et j’ai adoré mon passage à Paris. »

Paris m’a fait du bien ! »

Witensky arrive à Paris le mardi 6 juin 2023. D’abord reçu à Orgeval, chez Olivier Métellus, il a ensuite  « l’honneur » — le mot est de lui — de  séjourner à Bonneuil, dans la « légendaire maison » où vécut Jean Métellus. Il est « très bien accueilli » par sa veuve, Anne-Marie Métellus.

Un programme chargé. Visite du marché de la Poésie où il signe son livre. Remise du prix à la société des Gens de lettres. Le lendemain, Jonas Jolivert, président de l’association Franco-haïtienne d’échanges et de solidarités, lui fait faire un magnifique tour de Paris : la tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, le musée de Louvre, la basilique du Sacré-Cœur... « Ce fut extraordinaire ! », s’enthousiasme-t-il.

À Paris, il rencontre pas mal d’Haïtiens. Il retrouve même un de ses anciens camarades de l’école des Frères Louis Borno de Léogane, Djeananhe Maculov Mentor, et un autre de Saint-Louis-de-Gonzague, Karim Alexandre. « Ils ont ajouté au sens de la cérémonie de remise du prix pour moi ».

Sa découverte de la France et de sa capitale, bien que trop rapide, lui laisse un très bon souvenir. Paris : « D’abord très grand, et ensuite très beau ». Les Champs-Élysées : « Ils m’ont émerveillé ! » À la Martinique en mai dernier, il a eu l’occasion de visiter Gros-Morne, Sainte-Luce, Saint-Esprit, Fort-de-France et Diamant, qu’il a également goûtés.

Witensky Lauvince a fait la rencontre d’écrivains haïtiens et français. « J’ai eu le bonheur de rencontrer Claude Mouchard, grand ami de Jean Métellus, mon éditeur, Jean Le Boël, et Nimrod à qui il m’a présenté. Lors de ma rencontre avec Nimrod, il a parlé des créateurs haïtiens, de la force de nos créations et celles d’autres peuples de la Caraïbe. Nous avons discuté un peu et j’ai beaucoup apprécié ce moment ! »

Sur une vidéo de son passage à Paris, on le voit en train de manger une mangue qu’il a rapportée d’Haïti. Il montrait aux enfants d’Olivier Métellus comment les éplucher à l’haïtienne. « Ils les ont dégustées avec plaisir. Ils ont adoré ! »

Pourquoi des mangues ? L’idée est venue d’Anne-Louise Mésadieu, une élue française d’origine haïtienne, proche du concours. « Elle adore les mangues et elle est très attachée à son héritage haïtien. Je ne me souviens plus du nombre de mangues que j’avais. J’en ai fait trois paquets, c’était pour donner en cadeau. »

De la lecture à l’écriture

Sa passion de l’écriture vient d’abord de la lecture. « C’était ma passerelle vers l’écriture. J’ai commencé à lire depuis mes classes primaires avec des camarades. » Les auteurs français ou francophones qu’il a aimés, c’est Rimbaud et Lautréamont. « J’ai été particulièrement saisi par la force poétique de Rimbaud. Il y a également, avec sa Tombe, Hélène Cixous qui m’est restée à la gorge ». À présent il se plonge dans le vaste univers poétique de Jean Métellus. Il fait aussi des recherches sur Magloire Saint-Aude, auquel il s’intéresse beaucoup.

Il est venu à l’écriture « par nécessité ». Il parle de « l’impérieux besoin de dire ce qui se passe en moi lorsque je suis entré à Port-au-Prince, loin de mes parents, loin de ma terre natale. » Il a certes eu les encouragements de ses camarades et surtout de son ancien professeur de littérature, M. Salomon Saturné.

Avant de devenir écrivain, sa vie a toujours tourné autour de l’écriture. Sous d’autres formes. Dès son jeune âge, il écrivait des chansons. Ensuite, il devient rédacteur. Il collabore avec des médias en ligne durant quelque temps.

Son prochain grand projet littéraire ? « Mon projet, c’est de continuer à laisser la lumière prendre sa place en moi, continuer à pratiquer le culte de l’humanité. Désormais, j’ai la grande mission de répandre l’œuvre et le nom de Jean Métellus en Haïti, des projets sont en cuisine. Quant au littéraire, j’ai un roman en chantier, je vous donnerai des nouvelles ».

Abordant la situation en Haïti, il pense que le problème de l’insécurité est complexe et qu’il faut l’aborder dans toutes ses dimensions, considérer tous les acteurs : depuis le jeune désœuvré dans les mains duquel atterrit une arme en passant par les intermédiaires et jusqu’à celui qui fournit artillerie et munitions. Il y a été lui-même confronté. En 2018, il a dû quitter son domicile de Martissant, ne pouvant parfois rentrer chez lui à cause des affrontements. Ensuite, étant donné la situation de la route du Sud, aller de Léogâne à Port-au-Prince est un véritable chemin de croix.

Haïti peut-elle résoudre le problème localement ou aurait-elle besoin d’aide extérieure ? Witensky Lauvince pense qu’une volonté politique locale est nécessaire « pour éradiquer ce phénomène qui met des larmes dans nos yeux et de la peine dans nos cœurs ». N’étant pas isolés du reste du monde, toute aide devrait réellement pouvoir servir le pays et la cause.

Malgré la situation, il est heureux de rentrer à la maison. Auprès des siens. « C’est toujours un bonheur de retrouver la chaleur de la famille. Je suis avec eux, et ils sont contents de me retrouver, tous fiers de moi. » Cela soulage de l’angoisse quand elle t’étreint.

Huguette Hérard

Notes :

(1) Né le 29 décembre 1996 à Léogâne, Witensky Lauvince est poète, écrivain, rédacteur et correcteur pour plusieurs médias en ligne : (AyitiEvent, Yogann Magazineet Balistrad). Études primaires à l’école des Frères Louis Borno de Léogane de 2002 à 2008. Il entre à Port-au-Prince pour le 3e cycle à l’institution Saint-Louis-de-Gonzague, qu’il fréquente jusqu’à la philo. Tout de suite après, il entame des études de droit, qu’il ne terminera pas. Il prend ensuite des cours par correspondance de journalisme à l’université de Pennsylvanie (États-Unis) et décroche un certificat de compétences orthographiques à l’université de Caen-Normandie (MOOC).

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