Marché du travail haïtien : Salaire de servitude

« Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Mais à quel type de travail Voltaire ferait-il référence ? Ce n’est certainement pas le chômage déguisé.

Détenteurs d’emploi à la Banque commerciale « Delta », à la compagnie « Alpha », à l’entreprise « Gamma », n’était le support financier de la diaspora, leurs enfants n’iraient pas à l’école. Ils n’auraient pas pu payer le loyer, le transport, la nourriture. Tel est le contexte gênant de la plupart des familles haïtiennes. Même celles dont le chef de ménage est un détenteur d’un diplôme universitaire qui se lève avant le soleil-levant et se couche après le soleil-couchant.

Gymnastiques en des coups de fil téléphonique vers les États-Unis, le Canada et l’Europe, c’est seulement par de telles stratégies que de nombreuses familles arrivent fort souvent à joindre les deux bouts. De l’autre côté, les brasseurs amassent tout pour eux seul, remplissent leurs comptes à plus de 10-digits en République dominicaine, en Europe, en Floride. Avec dédain ils traient ceux et celles qui contribuent à leur garantir le succès dans les affaires. Haïti, un pays cruellement inégalitaire !

Directeur d’école offrant toute son énergie à la société pendant trois décennies, quatre décennies, au cours de toute sa vie, Pierre n’a pu se construire une maison. Professeur chevronné, de plus de vingt ans de carrière, Jean n’arrive à se procurer un véhicule de fonctionnement. Leadership dans la disette, l’honneur dans le nu, le prestige dans la pénurie, l’effort n’est pas payant sous les cieux gouvernés par des malicieux. Quand le sacrifice loyal n’est pas convenablement rémunéré, ce sont de mauvais signaux que la société lance aux générations futures.

Bravo à l’initiative des anciens élèves des Frères de Léogane qui ont renvoyé l’ascenseur à un ancien professeur d’une riche carrière qui a contribué au médecin, sociologue, ingénieur, économiste et avocat qu’ils sont devenus aujourd’hui. Cette initiative d’offrir une voiture à une référence communautaire est un témoignage de gratitude qui aurait dû devenir virale sur Haïti entière.

 

Faiblesse institutionnelle

Les conséquences néfastes de la faiblesse des institutions haïtiennes s’étendent intensément sur le marché du travail. Mesquins politiques et vilains économiques main dans la main pour exploiter la main-d’œuvre sous-payée, le dossier du salaire minimum ne se serait pas adressé sur le macadam. Il y aurait déjà eu de multiples ajustements annuels par rapport au coût de la vie invivable et sur la base des profits gigantesques engrangés par les firmes sous-traitantes. Malheureusement, celles-ci prennent plutôt un malin plaisir à abêtir des hommes et des femmes quasiment en des travaux forcés en contrepartie d’une modique compensation. Quand le régulateur ne joue aucunement son rôle, les préjudices ne font que croiser leurs pieds coriaces sur l’excellence.

Concédons, dans l’intérêt du bien-être social, que l’on ne saurait chasser des entreprises industrielles en leur imposant des niveaux de salaires minima en inadéquation avec les bénéfices qu’elles génèrent. Cependant, on reconnaît dans toutes les sociétés normales que le succès se partage.

En plus du secteur industriel, l’épineuse question de l’exploitation des employés est à soulever également au sein du système bancaire anthropophage qui contraint les caissiers à porter des vêtements que leurs modiques salaires ne puissent en payer.

 

Banque et salaire de misère

Des cadres tirés à quatre épingles pour se mettre sur leurs 31 alors qu’à la fin des 31 jours et nuits, à peine s’ils peuvent balancer les contraintes préliminaires. Des détenteurs de diplômes universitaires croupis à la base de la pyramide de Maslow. Les nobles incitations sont inversées. Il faut un autre paradigme !

Nous avons déjà vu et entendu des banques commerciales claironner des succès époustouflants même en période d’asphyxie économique. Interrogation : À qui profiterait le crime ? Pardon, le succès, s’il en était ? Comment expliquer une embellie du système bancaire quand on sait que de multiples entreprises ont fermé boutiques. Elles se déguerpissent pendant que parallèlement l’inflation érode le pouvoir d’achat du consommateur.

Le béaba de l’économie serait alors violé dans un constat contre-intuitif qui vraisemblablement interpelle un autre courant de pensée. Informalité, trafic illicite, commerce illégal ? Y aurait-il un type de business auquel les banques commerciales prendraient part, mais non déclaré dans les lignes de la comptabilité nationale ? En tout cas, juste des questionnements inspirés des scandales épinglant des familles soi-disant pharaons et patrons aux grands noms de la Cité. Puisse la régulatrice dépravée de la Rue Pavée élucider ce point d’ombre. 

Parlant de bénéfices et de dividendes ; les principes du capitalisme veulent que la part du lion reviennent toujours aux actionnaires qui ont encouru le risque de l’investissement. C’est  de bonne guerre. Par contre, un minimum vivable doit être destiné à la poche de la main d’œuvre laborieuse de telle sorte qu’elle puisse se procurer le minimum vital : maison à louer, transport, service de santé, paiement scolaire, etc. Regrettable de percevoir au sein de tous les secteurs, particulièrement dans les banques haïtiennes, une forme d’esclavage moderne. Le jeu est vicié.

Il faudrait des politiques d’ajustement régulier pour cesser le creusement des inégalités béantes entre les salariés et les actionnaires des compagnies. Sinon, les frictions, crispations, tensions sociales et les crises politiques incessantes demeureront insolubles.

 

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

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