Le Président Jovenel Moïse a perdu le pouvoir dans la nuit du 7 juillet 2021, à la suite d’un coup d’État qui lui a coûté la vie et dans lequel sont impliqués certains de ses proches collaborateurs ainsi que des opposants politiques.
La classe politique haïtienne qui a pris les rênes du pays après cet assassinat odieux est désormais en passe de cumuler cinq années au pouvoir, soit l’équivalent d’un mandat présidentiel complet. Un pouvoir sans contrôle, dépourvu de mandat populaire, semble être le modèle de gouvernance que ces politiciens sans véritable ancrage imposent depuis ce drame affreux. Le maintien d’un tel régime ne peut qu’affaiblir davantage le pays, son indépendance et sa souveraineté. Il ouvre aussi la voie au pillage des ressources de l’État, transformé en une véritable banque à dévaliser en toute impunité.
C’est cette mauvaise gouvernance, dans laquelle Haïti s’enlise, qui conduit à son effondrement. Avec ce mode de gestion, la mort annoncée du pays était déjà inscrite, et ses ennemis n’ont plus besoin d’agir pour achever sa destruction. La corruption et la médiocrité pratiquées par les élites haïtiennes ont eu raison d’Haïti.
Amertume d’une frange politique
Qu’est-ce qui explique aujourd’hui l’amertume d’une certaine frange politique qui a pourtant longtemps collaboré avec les puissances occidentales pour accéder au pouvoir, au prix de compromissions préjudiciables aux intérêts nationaux ?
Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est le Conseil présidentiel de transition – à travers le conseiller présidentiel, l’économiste Fritz Alphonse Jean – qui ressort le discours nationaliste pour dénoncer le comportement de certains ambassadeurs occidentaux en poste en Haïti dans la gestion des affaires de l’État. Les rapports historiques entre les États-Unis, puissance devenue globale, et Haïti, pays pauvre et fragilisé, ont toujours été marqués par une relation de domination. À mesure que l’effondrement du pays devient total, cette domination prend une forme de brutalité sans précédent. L’élite haïtienne porte la responsabilité de la situation actuelle, car elle s’est rendue elle-même non fréquentable.
Dès 2002, les Américains avaient pourtant lancé une alerte. Lors d’un discours prononcé en présence des principaux représentants de l’élite haïtienne, l’un de leurs anciens ambassadeurs évoquait la possibilité d’une renaissance haïtienne et soulignait le danger qu’il y avait à confier le pouvoir à des trafiquants et à ceux qui avaient contribué à la décomposition du système politique et économique du pays.
On peut certes douter de la sincérité de ce discours, au regard des multiples interventions américaines en Haïti, mais il faut reconnaître que l’avertissement avait été donné. Les États-Unis défendent leurs intérêts, ce qui est normal. La vraie question demeure : où trouver des Haïtiens capables de défendre les intérêts nationaux et de définir un véritable schéma directeur pour le développement du pays ?
Les interventions publiques de Fritz Alphonse Jean sont choquantes, tout comme celles de Moïse Jean-Charles et de Claude Joseph, tous trois géniteurs de ce Conseil présidentiel de transition auquel ils sont restés liés jusqu’au bout. Pensent-ils réellement pouvoir jouer un rôle central dans la gouvernance que la nation espère instaurer le 7 février 2026, après cette période marquée par la décomposition accélérée de l’État et de la société haïtienne ?
Je ne cherche à rabaisser aucun citoyen haïtien. La politique est, certes, notre bien commun. Lorsqu’il s’agit d’Haïti et des questions de développement national, tout le monde est légitime pour en parler, mais tout le monde n’est pas compétent pour en débattre ni pour le planifier.
Qu’est-ce qui confère, en effet, à Moïse Jean-Charles et à Claude Joseph ce droit souverain de décider de l’avenir d’Haïti, après avoir eux-mêmes contribué à des dérives politiques majeures et à des catastrophes nationales ? Dans le cas de Moïse Jean-Charles, est-ce la radicalité stérile de ses prises de position qui le désigne soudain comme arbitre du destin national ? Et dans celui de Claude Joseph, est-ce son opportunisme politique, entaché de pratiques douteuses et d’un lourd passif, qui lui donnerait la légitimité de tracer la voie du pays ?
uption conduit le pays vers la déchéance
En Haïti, lorsqu’on est un citoyen formé, doté d’une intégrité morale que nul ne saurait remettre en doute, on part presque toujours avec un handicap dans cette société.
Un jour, le député Jerry Tardieu posa la question suivante au professeur Leslie Manigat : en tant qu’historien global, héritier de l’enseignement de l’École des Annales, quel est selon vous le fait le plus marquant de l’histoire nationale ? Le professeur répondit spontanément et sans détour : la lutte contre la compétence, la qualité, l’excellence et l’intégrité. Il ajouta : si l’on place au pouvoir un homme certes compétent et éprouvé, mais corrompu, le pays ira encore plus vite vers la déchéance.
Malheureusement, tel est l’état lamentable dans lequel nous pataugeons. Les mêmes têtes corrompues, déchues, dégénérées, viennent, disparaissent puis réapparaissent pour imposer leur modèle de gouvernance fondé sur la médiocrité et la corruption — ces deux piliers autour desquels les élites, de gauche comme de droite, scellent leur consensus.
Qui avait hissé Didier Alix Fils-Aimé au pouvoir ? Ce n’est pas « le blanc » ni un acteur étranger, mais bien la majorité de la classe politique réunie au sein du Conseil présidentiel de transition, qui en a fait le choix. C’est le CPT qui avait décidé de la composition du cabinet ministériel, des nominations dans la diplomatie, du directeur général de la police et du haut commandement des Forces armées. La responsabilité du CPT est donc totale dans la catastrophe que nous vivons. Notre malheur ne provient pas seulement de ce gouvernement totalement improductif, mais aussi de l’instance qui l’a choisi et mis en place.
Le sentiment d’amertume que manifeste aujourd’hui cette équipe au pouvoir est trompeur, tout comme le retour soudain au discours nationaliste. On oublie vite que ce CPT a été installé à la suite d’un coup d’État international dont le docteur Ariel Henry fut la victime, devenu un meuble encombrant après avoir passé trente et un mois au pouvoir sans organiser une seule élection.
Sur quelle règle du droit international reposaient son arrestation puis sa détention sur le territoire étasunien ? Sur un « droit international » fondé sur les règles édictées par les États-Unis, et non sur le droit international classique. C’est à la lumière de ces règles qu’il faut comprendre les sanctions prises contre certains de nos compatriotes, qui ont la responsabilité de défendre leur cause devant un tribunal neutre, indépendant et impartial.
J’espère que les États-Unis et le Canada, pays démocratiques où domine l’État de droit, leur offriront cette possibilité, car le traitement de ces dossiers est essentiel pour la stabilité et la paix sociale en Haïti.
La tragédie haïtienne doit enfin prendre fin
La dignité dans la défense de l’intérêt national doit rester constante. Pour cela, il est indispensable que le pays fasse des choix raisonnables, fondés sur les critères de patriotisme, d’intégrité et de compétence pour désigner ses dirigeants.
En relations internationales — et plus encore dans les relations interétatiques — ce n’est pas toujours la position la plus juste qui triomphe, mais celle du plus fort. Dans le contexte actuel, Haïti ne peut pas être forte, mais elle peut faire preuve d’intelligence en se donnant une marge de manœuvre pour négocier et interagir avec les puissances du moment. La meilleure stratégie consiste à se replier après tant de défaites, afin de mieux nous organiser pour rebondir dans l’histoire.
En attendant ces jours meilleurs, qui ne sont pas hors de portée, il est urgent de se défaire de cette équipe au pouvoir avec laquelle aucun compromis n’est possible. Il est temps de mettre fin à la tragédie haïtienne. Les manœuvres de dernière minute pour prolonger l’effondrement ne sont qu’un feu de paille : ils partiront tous ensemble. Offrons-nous donc, dans la concertation politique, une solution qui, cette fois-ci, fonctionnera.
Car malgré la nuit profonde que traverse la nation, Haïti possède encore les ressources humaines, morales et historiques pour se relever, à condition que ses enfants choisissent enfin la voie de la lucidité et de l’unité.Formularbeginn
Heureuses saisons des fêtes. Le combat continue !
Me Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique à l'université d'État d'Haïti.
Université du Québec à Montréal
Montréal, ler décembre 2025.
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