Implication jeunesse citoyenne : aperçu 2022

Décembre – dernier mois de l’année, fin d’un cycle. Moment où nombre de conseillers recommandent aux jeunes de ne s’adonner seulement aux réjouissances. L’idéal consisterait à intercaler divertissements et temps de réflexions en vue de déterminer des objectifs précis pour la prochaine année.

En Haïti, les jeunes se plaignaient depuis quelque temps de ne pouvoir se divertir durant cette période festive. Toutefois, leurs difficultés financières pouvaient être considérées simplement comme un manque à gagner leur accordant du temps nécessaire pour mieux évaluer leurs aspirations en vue de transformer leurs rêves en projets pratiques et réalistes.

Maintenant, ils sont peu enclins aux amusements, traqués qu’ils sont par les violences de l’insécurité physique, la précarité économique et l’incertitude généralisée. Aussi, les personnes évoluant dans le secteur jeunesse ont-elles la tâche de plus en plus difficile quand elles abordent les questions d’épanouissement personnel, d’assurance et d’estime de soi ou encore d’aptitude professionnelle.

Leurs approches sur tout ce qui concerne la préparation du lendemain se heurtent à une objection solide de la part des jeunes des deux sexes ; à savoir, de quel futur s’agit-il ? Même les plus optimistes sont forcés d’admettre que depuis 2010, Haïti est rentrée dans l’ère des ténèbres. À la veille de 2022, chacun se demande si toute lueur d’espoir serait éteinte, surtout les jeunes qui ne trouvent plus de branches auxquelles accrocher leurs espérances ? 

Le séisme du 12 janvier 2010 avait obscurci l’azur de la capitale haïtienne avec un épais nuage de poussière grise provenant des immeubles effondrés. Ce fut un mauvais présage pour la décennie qui ne faisait que débuter. Si le ciel de Port-au-Prince s’est éclairci, le climat social haïtien n’a fait que s’assombrir : dégradation sociale, crise politique en permanence, insécurité généralisée, économie moribonde, vulnérabilité environnementale aggravée.

Catastrophes naturelles et évènements sociopolitiques dévastateurs se sont indéfiniment succédé. À chaque secousse, on se disait avoir touché les basfonds du gouffre et qu’il ne restait qu’à remonter, mais c’était seulement pour s’enfoncer davantage. Alors, quand un pays se transforme en enfer, il est naturel que sa population cherche à s’enfuir. À travers l’histoire universelle, l’instinct de survie a toujours justifié la migration : tous ceux qui le peuvent, partent. Toutefois, la grande majorité du peuple y demeure, vivotant misérablement dans l’angoisse et la peur.

Peut-on en reprocher aux jeunes d’Haïti d’aller tenter réussir ailleurs si on ne peut les motiver valablement à rester chez eux pour participer à la reconstruction nationale ?

En Haïti, on fait croire à l’adulte de trente-cinq ans qu’il appartient encore au secteur de la jeunesse. Dans cinq ans, il ne sera qu’un pseudo-adulte mûr, n’ayant à son actif qu’un certain nombre de rejetons sans avenir, dépendant de mères démunies dont ils auront entravé l’opportunité de mobilité sociale. Ainsi, le cycle de désillusion des jeunes se perpétue.

À ce carrefour périlleux, notre société hésite à se plier aux normes régissant la vie moderne. Nos jeunes sont confrontés à de nombreuses pressions sociopolitiques, l’homme moderne devant évoluer entre les balises définies par la poursuite du bien-être personnel et l’obligation de contribuer à la recherche de l’intérêt général. Le succès individuel contribue au bien-être collectif et les conditions sociales affectent, à leur tour, la situation des personnes.

L’égoïsme idéalisé et le culte flagrant de la personne politique régnant partout en Haïti, les jeunes n’auront pas eu suffisamment de modèles valables en matière d’implication sociale au niveau communautaire pour influencer positivement leurs comportements personnels ni leur engagement civique. Néanmoins, l’échec de l’approche sectaire étant cuisant, qui croit pouvoir réussir seul quand la détresse est globale, n’aura fait qu’ignorer son mal-être réel. Actuellement, les couches les plus favorisées de notre société en font la douloureuse expérience, nonobstant leur confort matériel.

Souvent, nous soulignons la nécessité d’un changement de mentalité pour comprendre enfin que la lourde charge sacrée de la conduite de la vie politique de son pays ne se résume pas à l’acte criminel de s’enrichir à ses dépens. Les affaires publiques ne représentent non plus un gâteau à partager, que ce soit sur l’échiquier national ou à l’échelle internationale. Les jeunes doivent combattre ces tendances honteuses et s’en démarquer.

Les citoyens bien embus de leur devoir civique comprennent que les responsables de l’Etat jurent devant Dieu de servir la nation. Tous doivent concourir à son service et son développement. Les jeunes sont appelés à le proclamer et s’y conformer. De plus, il faut rappeler que le respect de la constitution est la base de cette vertu citoyenne qu’est l’attachement à la patrie. En ce sens, la charte fondamentale ne saurait être une loi ordinaire, sujette à modification à tout moment.

De nature pérenne, la constitution vise la stabilité politique du pays et ne peut supporter que de rares interventions, quand elles auront été reconnues indispensables par le corps social. Conséquemment, les détails doivent être relégués à l’élaboration de la loi. Contrairement aux normes constitutionnelles qui garantissent le fondement de l’État, la loi est susceptible d’être adaptée aux conjonctures, suivant l’entendement des législateurs éventuels en ce qui a trait aux besoins spécifiques des groupes sociaux concernés.

La question de la non-application de la constitution de 1987 a été l’illustration parfaite d’un refus d’ouverture d’esprit et d’absence totale de vision nationale apportant la preuve de l’inconscience des élites économiques et politiques. Cependant, déterminer le quoi faire de mieux, exige une concertation qui ne saurait être qu’une nouvelle manœuvre politicienne. Le bien-être du peuple, le développement du pays, l’épanouissement de la jeunesse, la paix sociale, l’avenir d’Haïti : tout dépend du respect de la constitution.

À la chute de la dictature, le Conseil National de Gouvernement de 1986 était censé garantir l’ordre public ainsi que la continuité de l’État en vue d’ouvrir la voie vers l’application de nouvelles normes politiques. Cependant, l’état des choses s’est aggravé par la constance des pratiques anti-démocratiques. Depuis trente-cinq ans, la société haïtienne s’est embourbée dans les dilatoires des beaux parleurs ou manipulations des usurpateurs, dialogues entre coquins ou monologues de despotes.

On s’est enfoncé dans l’autoritarisme tout en évoquant la démocratie. Les gouvernements successifs ont emboîté le pas dans la mauvaise direction, chacun innovant pour amplifier le chaos. Dilapidation des biens publics. Disparition des institutions publiques. Absence de services sociaux de base. Désarticulation totale de la vie politique.

Le renforcement de la vie publique dépendait de l’organisation des pouvoirs publics, le bon fonctionnement des organismes de l’Etat et la mise en place d’institutions indispensables à la régularisation de la vie politique et à l’expression du pluralisme idéologique, dont un Conseil Electoral Permanent et une Cour Constitutionnelle. Certes, on eut à élever la voix contre la charte de 1987 dans le passé, on ne peut même plus y faire référence maintenant.

L’adoption de normes essentielles à l’établissement de l’État de Droit, telles que bonne gouvernance, reddition de compte, séparation des pouvoirs, système judiciaire équitable, respect des droits humains, etc.., s’est tant fait attendre que leur absence aboutît à la faillite de l’État haïtien. Par leur application, le peuple aurait pu progressivement accéder aux services sociaux de base, étape initiale pour que le pays sorte du sous-développement chronique.

De toute façon, nombreux sont ceux et celles qui, pour tenter de rationaliser leur velléité pour la conquête du pouvoir, ne manqueront pas d’évoquer la stabilité politique, la paix sociale, le relèvement économique, la perspective d’établissement d’un ordre démocratique. En cette période de fin d’année, ils essayeront fortement d’embarquer la jeunesse haïtienne dans leurs démarches démagogiques.

Ne faut-il pas justifier la mise en place d’une équipe gouvernementale atypique devant aboutir à l’élaboration d’une constitution par voie référendaire, la formation d’un énième conseil électoral provisoire instrumentalisé, l’organisation inefficace d’élections générales orientées et bien d’autres dispositions arbitraires visant l’accaparement de l’appareil de l’État au détriment de la nation haïtienne ?

Une fois de plus, on aura mis de côté l’essentiel à accomplir en vue d’un vrai démarrage : une conférence nationale. Il y a lieu de se demander pourquoi son organisation n’a jamais intéressé les détenteurs du pouvoir exécutif, les seuls pouvant prendre les dispositions commandant sa concrétisation ? En fait, la volonté d’être détenteur de la pelle à découper les parts demeure leur mobile principal. La dilapidation des biens de l’État restera le symbole répugnant de l’impunité, la corruption et la criminalité.

Une conférence nationale déterminerait les règles du jeu politique – à ne pas confondre avec le plan national à long terme évoqué par certaines voix tonitruantes. En réalité, ce dernier ne représente qu’une tentative camouflée d’usurper le droit des générations à venir, vrais décideurs du futur, de s’entendre sur l’orientation qu’elles souhaiteraient donner à leurs réalités en fonction des nouvelles conjonctures imprévisibles qui leur seront propres.

Une conférence nationale offrirait à tous les secteurs l’occasion de se mettre d’accord sur les principes politiques fondamentaux régissant les rapports entre les divers acteurs sociopolitiques. Elle donnerait lieu à l’élaboration d’approches inédites comme la rédaction d’une convention spéciale que tout candidat, lors de son inscription aux joutes électorales, devrait signer en prêtant serment de respecter les normes préétablies, le cas échéant. Une idée à explorer…

Une conférence nationale présenterait l’opportunité de négocier la formation, l’organisation et le fonctionnement du Conseil Electoral définitif comme de la Cour Constitutionnelle. On statuerait aussi sur ces questions qui ont toujours servi de prétextes aux révisions constitutionnelles, lesquelles représentent, entre autres, des épines dangereuses pour la vie nationale.  

Les éléments faisant l’objet d’un amendement au fil de l’histoire constitutionnelle haïtienne, ont toujours indiqué certaines des causes profondes de son instabilité politique constante : la durée du mandat présidentiel, l’harmonisation du mandat électoral et du temps électoral, l’interdiction de la réélection du président sortant, le remplacement temporaire du président de la République en cas d’empêchement, la procédure à suivre en cas de vacance présidentielle, la résidence permanente du président au Palais National, la réduction des élections coûteuses, etc.

Cette conférence nationale que réclame la nation mais dont aucun politicien ne veut, signalerait un nouveau départ dont les termes auraient été convenus au vu et au su de toutes les couches sociales par les politiciens eux-mêmes. Rien de bon pour la nation ne peut résulter d’ententes partisanes, conçues dans le secret et destinées à être transgressées. Elle marquerait le premier pas vers la conclusion d’une entente politique viable pour le relancement de la démocratie et la rédaction d’une charte constitutionnelle patriotique visant le relèvement du peuple haïtien. 

L’essentiel de la démocratie demeure la sanction périodique de la gestion des dirigeants politiques par les citoyens. Le rôle de tout gouvernement est d’œuvrer à la bonne marche du pays par la réalisation de la vision politique arrêtée par le pouvoir élu. Tel est le but de l’accord conclu avec le peuple lors des élections.

Par des élections honnêtes et générales, les citoyens approuvent ou désapprouvent les individus ainsi que les structures politiques qui ont bénéficié du privilège de servir la nation, en se basant sur le critère de réussite du programme proposé lors de la campagne électorale, ou de son échec. Tel doit être le verdict populaire de l’ordre démocratique. Chaque citoyenne et chaque citoyen a le devoir civique de s’y préparer en connaissance de cause, du plus jeune de dix-huit ans qui vote pour la première fois, aux citoyens les plus âgés, jouissant de l’exercice de leurs droits politiques.

On n’en finit pas de répéter que la jeunesse est l’avenir du pays. On n’arrête pas de convier la jeunesse à l’action sans lui donner les moyens d’y contribuer. Mais comme l’année qui s’écoule, l’ère de la jeunesse ne représente qu’un cycle qui commence avec la naissance et se métamorphose, sans qu’on y prenne garde, en âge adulte.

L’adolescent de treize ans doit s’intéresser aux choses politiques car, d’ici cinq ans, il sera un jeune adulte capable d’exercer son droit civique le plus important, celui de voter en vue de choisir ses représentants. A dix-huit ans, la jeune fille et le jeune garçon deviendront citoyenne et citoyen à part entière, incarnant ainsi la souveraineté nationale dont l’exercice sera confié aux représentants du peuple, émanés d’élections libres, sincères, honnêtes et démocratiques.

Ainsi, pour chaque adolescent, le temps de jeunesse s’exécute en périodes successives pouvant être comparées à la durée d’un mandat présidentiel au terme de cinq ans. Passant de 13 à 18, 23 puis 28 ; 33, 38, 43 et ainsi de suite ; de cinq en cinq ans, les jeunes citoyens élargissent le cadre de leur participation à la vie nationale jusqu’à franchir les conditions d’âge requises, ayant acquis l’expérience leur permettant d’assumer l’exécution des plus hautes fonctions de l’Etat.                  

Ce qu’aujourd’hui et pour le bien-être de la nation, les jeunes femmes et jeunes hommes d’Haiti doivent exiger de la part de celles et ceux qui, détenant les rênes politiques, occupent les sphères de décision au niveau national, c’est aussi ce que nous, l’ensemble des citoyennes et citoyens, devrons réaliser ensemble.

Que toutes les citoyennes et tous les citoyens s’appliquent à l’exercice de leurs droits politiques en 2022, c’est la seule planche de salut.

Pour la jeunesse, pour chaque Haïtienne et chaque Haïtien, pour l’avenir, pour Haiti.  

 

Chantal Volcy Céant

1er décembre 2021

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