La crise de l'eau dans le département du SUD-EST, un signal clair pour un autre comportement environnemental

La terre est une planète spéciale. Elle l'est non seulement à cause sa distance idéale par rapport à la grande étoile qu'est le soleil, mais aussi par rapport au fait qu'elle renferme exclusivement jusqu'à présent, les conditions géologiques et climatiques nécessaires pour abriter la vie. En effet, l’une des manifestations de la particularité de la terre, c’est la présence et l’interdépendance des êtres vivants:  les espèces animales, végétales et les humains nouent des relations dans le cadre d’un Écosystème soit global ou local. Cette relation impose à l’homme de cultiver une attitude intelligente et responsable envers les autres éléments de la nature.

Ainsi, la nature est pour l’homme le haut lieu d’expression de la vie. C’est peut -être dans ce contexte qu’en 1984, Edward O. Wilson, biologiste et naturaliste, a utilisé le terme biophilia pour décrire un lien intuitif entre la nature et l’homme (l’humain). Celui-ci est ancré dans les gènes de l’humain. L’homme est instinctivement lié à la nature, à l’eau, et ce, physiquement, cognitivement et émotionnellement. Le concept de biophilie renvoie au besoin inné de l’homme de s’intégrer au monde naturel.

Dans un autre paradigme, l’eau est vitale pour l’homme qui l’utilise pour la domestication des plantes et des animaux. Elle est aussi importante pour la survie des ménages et des entreprises. Fort de cela, il convient d’affirmer que l’eau symbolise à la fois la nourriture et la santé pour l’homme. Vivre sans eau, c’est tout simplement refuser de vivre.

 

L’eau, une richesse qui se raréfie dans certaines régions du pays.

Aujourd'hui, notre préoccupation, c’est la crise de l'eau constatée dans les différentes communes du sud-est d’Haïti. Cette situation se constate notamment dans les sections communales de Jacmel, certaines habitations de la 11e Section communale de la Montagne, de la 6e Section de Montagne La Voûte et dans plusieurs sections communales de Bain et de l'arrondissement de Belle-Anse.

En effet, ce risque hydrique qui pèse sur les populations de plusieurs régions du pays résulte de la non-prise au sérieux par les autorités publiques de l'État central ou des collectivités territoriales de leur devoir en matière de prévention.

Haïti est située dans la zone tropicale nord avec deux saisons, une saison sèche et une Saison pluvieuse. Généralement, les mois de décembre, janvier et de février connaissent très peu de pluies dans tout le pays et la région Sud-est à la fin de l'année 2022 et au début de cette nouvelle année 2023 se trouve confrontée une rareté considérable de l'eau.

 

L’inégale accessibilité et l’indisponibilité de l’eau : une charge sur les épaules

Le problème de l’eau s'aggrave surtout à cause à la fois de l’inégale accessibilité et disponibilité de cette source de vie.  En effet, la rareté de l'eau vient compliquer la situation. Elle n’est   pas sans conséquence sur les ménages ruraux et urbains du département du sud-est connaissant déjà des difficultés d’approvisionnement à cause de l’inflation entraînant la hausse de prix des produits de première nécessité et aussi, à cause de l’insécurité qui sévit dans la région métropolitaine de Port-au-Prince imposant un droit de péage aux transporteurs et marchands pour traverser à Martissant.

 Certes, le département du Sud-est situé dans la presqu'île du Sud bénéficie d’un ensemble de facteurs géophysiques faisant sa particularité notamment le massif de la selle et des micros-climats de Thiotte, La Vallée de Jacmel, de Seguin ou de Côtes de fer. Ainsi, grâce à ses reliefs karstiques et une bonne couverture végétale dans le temps, on pourrait facilement identifier les réseaux hydrographiques sur les différents bassins versants constitués de cours d’eau, de sources et de cascades.

Aujourd'hui, peut-être à cause du phénomène de dérèglement climatique et surtout à cause de la déforestation et du déboisement, malgré l'absence de données quantitatives pour illustrer la baisse de Bassin Bleu de Jacmel ou de cascades Pichon à Belle-Anse, mais les observateurs peuvent constater à l'œil nu en période de saison sèche comme celle du premier trimestre 2023   l’évidence de la réduction de ces deux merveilles naturelles en termes de mètre cube (m3). Les voyageurs empruntant la route de l’amitié peuvent aussi observer la disparition de la rivière La Gosseline sous le pont de Bassin Caïman à Jacmel. Le même phénomène est constaté pour la grande rivière de Jacmel sous le pont de Dumeuse. Le décor n’est pas différent sous le Pont de la rivière gauche conduisant à La Vallée de Jacmel. À Marigot, les observateurs réguliers traversant le pont de la section communale   de Savane Dubois ont aussi constaté la même réduction. Le lac collinaire de bas La voûte situé sur l’habitation Coline se transforme en une marre polluée qui contient plus d’excréments d’animaux que de liquide.

Le plus dur, c’est le sort de certains quartiers de la ville de Jacmel qui ne sont plus alimentés par le DINEPA (Direction nationale de l'Eau potable et d’Assainissement) malgré que ces abonnés reçoivent régulièrement de facture pour un service non disponible. Désormais, les ménages qui ont les moyens achètent de l’eau des camions de citerne et les moins fortunés ont parcouru plusieurs dizaines de mètres voire de kilomètres avec un récipient sur la tête.

Dans ce contexte difficile, les populations du sud-est ne savent pas à quel saint se vouer ou à quelle porte frapper.  Selon le témoignage du directeur des travaux publics du Sud-est, l'ingénieur Grégory FAUSTIN, les leaders communautaires et autres acteurs ne cessent de solliciter l'aide de sa direction pour la distribution de l'eau dans certaines sections communales. Il répond à certaines demandes, cependant ce n’est pas véritablement la vocation de la direction départementale des travaux publics, car elle ne dispose pas de logistique appropriée pour la distribution de l'eau. Et, de surcroît sa direction confronte à la crise liée à la rareté des produits pétroliers sur le marché national et régional.

 

Des Arrondissements du Sud-est ont vraiment soif de l’eau

Les trois arrondissements du sud-est d'Haïti sont grandement affectés par la période de sécheresse et la crise environnementale. Lors d'une entrevue avec des acteurs de la zone de Seguin, l'un d'entre eux un employé du parc national La Visite de SEGUIN (Marigot, Sud-est) le 21 janvier 2023, il (M. Andrecène) affirme qu’à cause de la déforestation l’eau est devenue une ressource rare dans sa région. Selon lui, il y a une réduction visible de l'eau au niveau de la source, mais aussi à cause de l’absence de la maintenance des tuyauteries installées depuis le gouvernement de Paul Eugène Magloire en 1952. Aujourd’hui, pour s’alimenter en eau potable la population de l'ancien quartier de Seguin qui fait actuellement partie de la collectivité territoriale de Fond -Jean- Noë l(Fonjanoel) fait face à cette nouvelle crise existentielle. À Seguin, les ménages ont dû dépenser plusieurs centaines de gourdes par semaine pour s'approvisionner en eau. La situation de Seguin réclame une réflexion à part, car si rien n'est fait on débouchera sur la déstructuration de la biodiversité de ce patrimoine écologique du Sud-est et d'Haïti.

 Malheureusement, la machine humaine est déjà mise en branle pour la destruction de ce Parc National. Et aujourd'hui, la biodiversité est à la fois l'avenir de l'homme et de la planète (R. Dajoz, 2008) En ce sens, la vie en général est grandement menacée en Haïti.

À Grand Gosier , à Anse- à- Pitres et à Belle-Anse et  au niveau de l'arrondissement de Belle-Anse  en général ,les contraintes pour s'approvisionner en eau potable durant la période de la sécheresse est devenue la grande préoccupation de certains acteurs communautaires .Selon le témoignage du Maire de la Commune de Belle Anse M.Denoil ANTENOR, c'est pour la première fois son administration est tellement sollicitée par la population qui vit au jour le jour cette crise sans pareil ,les Sections communales les plus affectées par cette sécheresse c'est Bas Pichon, Baie d'orange, Calumette  ( surtout l'habitation Nan Malgré ) Mabriole etc. . Pour essayer de limiter les dégâts, il est obligé de procéder à la distribution des camions d'eaux presque chaque jour. Son grand dilemme aujourd'hui ce sont les problèmes de carburant et de transport.  C'est avec désolation que le Maire précise que lors des distributions les ménages reçoivent soit 12.5 litres d’eau et les chanceux r25 litres d'eau en moyenne par jour. C'est juste pour étancher à peine leur soif, mais se pose la question de l'hygiène e de la cuisson des aliments. Cette situation commence à avoir de fâcheuse répercussion sur l'élevage de certains animaux.

 

Des responsabilités à assumer et c’est maintenant (…)

La nature nous alerte, les signaux sont clairs. Malgré la célérité dans l’urgence, il n’est pas encore trop tard. Dans ce procès, il est de la responsabilité de chaque acteur de jouer son rôle. Qu'il s'agisse des acteurs publics ou non publics, il est désormais urgent qu'ils œuvrent dans le sens d’un changement de paradigme.

À cet effet l’idée est d’envisager une refonte des rapports existant entre l’homme haïtien et la nature. Il s'agit d'expérimenter de nouveaux rapports plus intelligents et responsables.

Toutefois, pour y arriver il y a un train de mesures concrètes à arrêter. Par exemple la mobilisation et la sensibilisation de toute la population vers des actions ponctuelles et adaptées: au niveau des écoles (surtout dans les cours de géographie), des églises, des associations communautaires et professionnelles, nous devons sensibiliser les populations sur les comportements à adopter pour stopper ce processus de dégradation. Au niveau des partis politiques, les leaders doivent sortir du spectre de slogan et de discours creux à caractère populiste pour désormais insérer les sujets de société notamment la problématique de l'environnement et la crise de l'eau dans un programme politique comme offre politique fiable tant à l'échelle régionale et nationale, sinon nous risquons de disparaître ensemble.

 

Une goutte d’eau utile dans un profond désert,

En ce sens au début de l'année 2023, une association de jeunes dans la zone de Lafond vient de lancer ‘' un Konin '' de reboisement pour sauver la source Domingue, un bon exemple citoyen pour la mobilisation communautaire. Ce projet vise à mobiliser les fonds pour acheter des arbres fruitiers en vue de les distribuer aux paysans de la zone à la veille de la prochaine saison pluvieuse. Dans cette même dynamique des jeunes de Seguin se regroupent et réfléchissent sur les actions à entreprendre non seulement pour la sauvegarde du Parc National la Visite, mais aussi, pour une meilleure distribution de l'eau dans la zone. C'est une initiative encourageante. Et, les autres acteurs n’ont pas de choix de les imiter; sinon ils vont observer dans la passivité leur disparition lente et sûre. Ce serait comme une option de suicide collectif.

Nous voulons conclure ce papier en renouvelant l’appel solennel à tout un chacun de repenser leur pensée et pratique par rapport à l'environnement qui constitue la matrice de notre vie. C'est un devoir doublé de droit.

 

Mibsam JEANNIS,

mibjeanis75@yahoo.fr

 Doctorant,

Professeur de géographie à l’Université d'État d'Haïti, EH (ENS/ IERAH-ISERSS) et à UPSEJ. (Université Publique du Sud-est à Jacmel)

 

Bibliographie sélective :

1- Juliette Cheriki -Nort, guide pratique à l'environnement : entre humanisme et écologie, éditions Yves Michel,2010

2- Roger Dajoz, la biodiversité l'avenir de la planète et de l'homme, Ellipses 2008

3-Gilles Renouard, 50 fichiers pour comprendre le réchauffement climatique, Boréal 2015

4- Autres sources.

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