Jose-Booz Paul : « Il y a un lien très serré entre la culture et l’éducation »

Jose-Booz Paul, membre du barreau de Port-au-Prince depuis le 19 mai 2015 et lauréat, en 2021, du prestigieux Prix Bâtonnier Mario Stasi décerné par le barreau de Paris, soutient l’idée selon laquelle il y a un lien très serré entre la culture et l’éducation. Me Paul formule des propositions pour changer le système éducatif de son pays affecté, depuis des décennies, par de multiples problèmes. La rédaction du quotidien Le National l’a interviewé.

L.N: Me Jose-Booz Paul, pourquoi, selon vous, nous devons changer notre système éducatif?

JBP: Merci de me recevoir ! Je suis toujours très honoré de pouvoir m'adresser aux lecteurs de ce prestigieux journal à grand tirage qu’est Le National. Pour revenir à votre question, je pense que nous devons dire la vérité aux Haïtiens: le monde est en train de changer. Malheureusement, ce changement, nous sommes en train de le contempler les bras croisés. En effet, nous avons déjà laissé passer plusieurs révolutions qui auraient pu transformer notre nation, en mieux. Encore une fois, aujourd'hui, nous sommes en train de laisser échapper la révolution de la technologie numérique. Or, cette révolution est capable de fournir une connaissance universelle à chaque être humain, où qu'il soit, quelle que soit la couleur de sa peau ou ses origines. Voilà pourquoi, j'estime qu'il est temps de remettre la place de l'école du futur que méritent vraiment les enfants de notre pays dans le débat public. Vous savez, l'école joue un rôle cardinal dans la vie d'un pays. Vous et moi sommes là où nous sommes grâce (aussi) à l'éducation que nous avons reçue à l'école de la part de nos professeurs. Si nous voulons réellement changer les mentalités des prochaines générations d’Haïtiennes et d’Haïtiens, il est nécessaire de repenser le fonctionnement du système scolaire actuel qui prévaut dans notre pays.

L.N : Comment y parvenir, Me Jose-Booz Paul?

JBP: Je pense que nous devons remplacer le système de mémorisation par cœur que nous avons actuellement par un système basé sur une compréhension approfondie de ce que doivent apprendre nos enfants. Nous devons commencer à regarder ce que font les Finlandais et les Suisses, par exemple. Sans vouloir me lancer dans un débat opposant le créole haïtien au français d'Haïti, je pense que nos manuels scolaires doivent être reproduits dans les deux langues officielles du pays. Notre système scolaire doit être en mesure de créer une nouvelle classe de jeunes citoyens haïtiens qui maîtrisent certaines compétences universelles essentielles telles que la création de sites Web, l'édition de films documentaires, etc. Nous passons trop de temps à l'école, contrairement à nos voisins caribéens. Notre cycle de formation fondamentale est excessivement long. Nos enfants sortent de l'école avec des poèmes, des fables et des formules mathématiques dans le cerveau, mais sans une véritable éducation financière. En Europe du Nord, à l’école, ils enseignent l'empathie à leurs enfants. Si, en Haïti, aujourd'hui,  nous formons des citoyens, nous devons tout mettre en place pour les aider à acquérir des « soft skills », outils indispensables à leur pleine intégration dans la société. Notre système scolaire ne doit plus rester un vecteur d’échec et de découragement. L’école est le prolongement de la famille. Une famille est là pour aider, accompagner, écouter. Donc, servir. Voilà pourquoi, je considère que l'économie domestique et l'éducation civique devraient être des cours obligatoires dans notre curriculum national, dès l'âge de 8 ans. Nos enfants le méritent, ce changement! Ils sont l’avenir de notre pays. Du monde, même.

L.N : Me Jose-Booz Paul, le ministère de l’Éducation nationale pourrait-il accomplir une telle réforme sans l’appui des acteurs de la société civile?

JBP: Non ! Le ministère de l'Éducation ne peut pas faire une approche révolutionnaire pour résoudre les problèmes que nous rencontrons au niveau de la formation de nos enfants sans le soutien d'un groupe d'ethnologues et de psychologues haïtiens spécialisés dans le domaine du développement personnel. En Espagne, par exemple, il y a trente ans, ce fut un professeur de psychologie, Alvaro Marchesi (pour ne pas le nommer), qui avait été invité par le gouvernement espagnol à trouver la meilleure façon de transformer le système éducatif espagnol.

L.N : Pour quel bilan?

JBP: Selon moi, il a fait un excellent travail lorsqu'il a proposé que l'éducation artistique et sportive des jeunes Espagnols soit faite en anglais. Pourquoi ai-je dit un excellent travail ? Les enfants à qui nous enseignons l'éducation artistique et sportive en anglais deviendront nos artistes. Nos Stars. Une star, c’est le premier ambassadeur d'une nation. Un ambassadeur issu d’un pays du tiers-monde qui peut s'exprimer en anglais possède aujourd'hui un grand avantage pour conquérir le marché mondial de l’entertaintment. J’allais oublier de mentionner que le professeur Marchesi avait établi, en Espagne, la mise à la disposition des manuels scolaires en galicien, espagnol, et catalan. Lorsqu'un enfant apprend, à l’école, dans ses langues maternelles, il a plus de chances, selon certains pédagogues occidentaux, de mieux assimiler la compréhension des notions à lui-même enseignées.

L.N : Pensez-vous, Me Paul, qu’il existe un lien serré entre l’éducation et la culture?

JBP : Oui! Oui! Je pense qu’il y a un lien très serré entre l'éducation et la culture. Avec Gérard Latortue, d’ailleurs, nous avons décidé de fusionner le portefeuille de l'éducation avec celui de la culture, lors de la transition 2004-2006. Je pense que ce n'est pas du tout une mauvaise idée, cette fusion. Mais, moi, si j'étais aux hautes responsabilités dans notre pays et que j'en avais la possibilité, je proposerais au peuple haïtien la création d'un ministère de la Culture élargi avec la composition de trois secrétariats d'État stratégiques :

  • secrétariat d'État au Patrimoine ;
  • secrétariat d'État au tourisme ;
  • secrétariat d'État aux affaires artistiques.

L.N : Nous avons pris l’habitude de terminer nos échanges par un conseil pour l’avenir d’Haïti…

JBP : Notre système scolaire doit être capable d'encourager nos enfants à embrasser notre patrimoine avec fierté. Notre culture est fondée sur notre histoire unique. Notre singularité est la source de notre indépendance. L'avenir de notre pays doit être façonné par le changement de ses citoyens. Et l'école est le point de départ de ce changement. Le président sud-africain Nelson Mandela a dit, et je le cite : « L'éducation est l'arme la plus puissante pour changer un pays. » Les parents haïtiens s'appauvrissent pour pouvoir offrir à leurs enfants une éducation de qualité.  C'est l'État qui n'est pas en mesure de répondre à leurs besoins. C'est donc l'État qu'il faut changer, avant même de penser à changer ces enseignants que nous abandonnons chaque jour en plein chemin.

Souvent, après avoir donné une éducation de qualité à nos enfants durant vingt, trente, quarante ans. Moi, j'ai eu des enseignants que ma mère et mon père avaient eu la chance d'avoir durant leur jeunesse, quand j’étais scolarisé au Petit Séminaire Collège Sainte-Thérése de l’enfant Jésus au Cap-Haïtien. Certains de ces héros et héroïnes de notre pays, malgré tout le bon service qu'ils/elles ont accompli, n'arrivent toujours pas à joindre les deux bouts: faire un petit emprunt auprès de la coopérative du coin pour loger leurs enfants dans la dignité, économiser dans l’espoir d’aller visiter Paris, Londres, Genève, New York, durant leur retraite bien méritée. Nous avons osé faire Vertières pour vivre bien. Chez nous! Pas pour aller subir des humiliations chez d’autres peuples. Il faut que quelque chose change dans ce pays. Ce n'est pas normal  de continuer à remettre nos épées à nos bourreaux à chaque élection. Nous devons changer ce pays. Et, ce changement doit passer, entre autres, par l’établissement, d’un nouveau système scolaire, mondialement compétitif.

 

Propos recueillis par Wilner Jean

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