Le Vodou dans les manifestations populaires en Haïti ?

Difficile de parler de mouvements sociopolitiques et de mobilisation des masses autour des multiples formes de revendications sans prendre en compte la dimension immatérielle, la dimension religieuse et la dimension sacrée dans les valeurs, les pratiques, les itinéraires, les comportements, les objectifs fixés autant que les stratégies à mettre en place, de manière individuelle et collective pour négocier et pour répondre aux rendez-vous de l’histoire. 

 

Dans toute réunion importante, il existe un protocole avec des principes qui permet d'introduire ou d'ouvrir la séance, la rencontre ou le rituel, comme pour lancer ou démarrer une manifestation qui engage et mobilise autant d'être, d'âmes et d'esprits issus des familles et d'horizons différents. Combien de fois les médias nous rapportent l'organisation d'une cérémonie Vodou au début de chaque manifestation et sans jamais questionner sur l'organisation possible ou l'absence de tout rituel visant à fermer la parenthèse mystique qui a été ouverte ?  Quelles sont les conséquences de ces interpellations des esprits Vodou mobilisés pour accompagner les manifestations populaires, qui ne seraient peut-être pas remerciés ou mis au repos après la marche ?  

 

Du célèbre esprit dénommé «Legba», reconnu comme le maître des carrefours, celui qui accorde le laissez-passer pour circuler, en passant par les régiments d’Ogou, le principal esprit guerrier qui domaine le clan des «Pétro», avec «Fery», en première ligne, le prêtre Vodou, les principaux organisateurs de la marche comme certains participants avisés qui profitent de la combinaison des quatre éléments (eau, terre, feu et l’air), ne rateront pas cette occasion pour remercier les autres esprits féminins, les esprits maternels comme les maîtresses ou «Bawon», pour solliciter de la protection durant tout le parcours. 

  

Dans la planification et l’organisation des manifestations populaires en Haïti, rares sont les initiateurs et les responsables qui ne passent pas par l'exécution d’un rituel avant le déplacement du défilé, dans l’un des premiers carrefours retrouvés sur le parcours annoncé ou non, pour interpeller les esprits, demander passage, solliciter la protection afin de bien remplir la nouvelle mission qu'ils se donnent dans la vie populaire, politique et diplomatique dans le pays.

 

Dans le choix du jour et de la date, autant dans le choix du lieu et de l’heure qui seront déterminés par plusieurs autres paramètres, les esprits Vodou sont bel et bien présents dans l’organisation, la structuration et la représentation des activités de la marche.

Des supports de communication de toutes sortes, comme des affiches, des pancartes, des banderoles, des drapeaux et des discours ne laissent pas toujours en dehors certaines affirmations et confirmations relatives au Vodou dans les choix des messages concordant avec les esprits ancestraux et leurs couleurs respectives symboliques.

 

Des esprits sont interpellés, d’autres sont salués, certains sont invités, d’autres également sont à éviter dans une telle dynamique collective, qui implique un grand nombre de sympathisants, de participants et parfois même des «aganman», pour ne pas faire référence à des termes comme «Ajanten» ou agent double.

 

Dans la foule mobilisée et en déplacement, comme dans toute représentation populaire, chaque personne a pratiquement son agenda voilé ou partagé, même en chantant et en criant en chœur les mêmes messages politiques, les mêmes revendications populaires.

 

Des chants engagés, des refrains et des slogans Vodou et certaines fois empruntées dans les autres religions et cultes participent activement dans l’animation et la mobilisation des participants qui sont autant des profanes, des initiés et des engagés dans la poursuite dans la bataille pour une nouvelle forme d'indépendance économique ou politique du pays.

 

Des années après, plus de trois décennies écoulées, nombreuses sont les compositions musicales à succès des groupes portant la musique traditionnelle et engagée comme : Boukman Eksperyans, Boukan Ginen, Koudjay, Rèv, Kanpèch, Alowi Yawe, parmi d’autres, qui enrichissent les messages des masses et les revendications populaires à chaque manifestation.    

 

Défilé pacifique, initialement annoncé par les organisateurs des marches organisées sur fond de revendications politiques, cela n'empêche pas pour autant d’observer certaines dérives parfois imprévisibles et irréparables sur le parcours. Comment les esprits Vodou influencent-ils véritablement à la fois les manifestants et les forces de l’ordre, en dehors des autres acteurs externes ? À quel moment interviennent éventuellement durant les manifestations les esprits comme : «Lenglensou», «Bawon Samedi», «Grann Brigitte», ou même  «Ogou feray» symbole de feu, de la guerre et très violent, entre autres ? 

 

De la colère populaire dans certains cas provoquée ou planifiée, et imposant des dommages collatéraux comme des affrontements, confrontations, violences verbales et physiques, des destructions de biens, des casses, des vols, des pillages, des incendies,  des blessés et des morts, à quel esprit Vodou se référer ou quels sont les Lwa qui en profitent de ces démonstrations et ces sacrifices pour se nourrir ?   

 

Depuis l’organisation et la réussite sur la terre d’Haïti en août 1791, de l’une des plus grandes réunions politiques et cérémonies ésotériques qui allaient s’inscrire dans l’histoire mondiale comme la cérémonie de Bois-Caïman, un des événements mystiques et mythiques  qui depuis s’est inscrits dans l’histoire d’Haïti et l’histoire universelle, cette terre d’Haïti habitée par des esprits, pour reprendre les propos de Dany Laferrière, est pratiquement devenue à la fois très instable et mouvementée par le rythme et la fréquence des manifestations populaire et les mouvements de protestation qui mobilisent un grand nombre d’hommes, des femmes et des enfants qui exposent leur désespoir et expriment leur revendication, tout en exorcisant l’espace-temps qui accueillent ces mutations sociales.  

 

Derrière toutes ces formes de représentations, d’expressions, de contributions et d’animations portées par le Vodou à chaque grande mobilisation populaire et  des manifestations des masses, au fil des années, et qui nous reviennent chaque saison, on pourrait commencer par se demander pour quel résultat ?  Quels sont les véritables apports du Vodou dans la mobilisation des masses et la bataille politique en Haïti ?  La représentation des diverses formes d'activités du Vodou n’est-elle pas beaucoup plus symbolique, folklorique et attractive que véritablement mystique face à des acteurs, entre dirigeants et militants politiques qui ne valorisent ou ne participent pas véritablement dans la promotion et le développement du Vodou ?

 

Des lwa pendant longtemps utilisés, abusés, manipulés et non récompensés à la fin après chaque prise de pouvoir, ne finissent-ils pas par se fatiguer ? Quelles sont les principales responsabilités ou implications des esprits Vodou dans certaines dérives,  ou échec des manifestations en Haïti ?  Peut-on finalement parler de manifestations populaires en Haïti sans prendre en compte la place du Vodou dans les défilés et sur le parcours ? En se basant sur les exigences respectives de chaque esprit du feu, de l’eau, de l’air et de la terre, pour l’accomplissement de certaines demandes, comment mesurer les véritables engagements pris par les organisateurs lors des rituels avant chaque déplacement ?  

 

De 1791 à nos jours, comment les rituels s'améliorent, s’adaptent ou s'épuisent avec le temps, entre les changements d’acteurs et d’opposants, et le niveau d’engagement réel des masses et de leurs leaders dans les marches populaires et  politiques en Haïti ? Face aux forces de l’ordre et d’autres adversaires, comment se manifeste la théorie mystique : “Se fè ki koupe fè”, lors des manifestations populaires dans le pays des “Bizango” et des “Champwèl” ?

 

Dans une forme continue de résistance populaire active et démocratique, affirmée dans toute l’histoire ancienne et contemporaine de l'humanité, les manifestations populaires et les mouvements de protestations représentent l’une des formes d’expression pour la promotion des droits et des devoirs des citoyens et des citoyennes. En Haïti, les leaders et leurs sympathisants ne manquent jamais l’occasion d’inscrire dans une démarche de reconnaissance et de croyance des pratiques du Vodou dans la planification, la consécration, l’organisation, l’animation et la communication des discours des masses. Pour quel résultat ?  Quelles sont les limites des Lwa dans les activités politiques et populaires de nos jours en Haïti ? 

 

Dominique Domerçant    

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