Zombification: le CÉPAT-H porte le débat dans l’espace universitaire haïtien

Le Centre d’études sur le patrimoine et le tourisme en Haïti (CÉPAT-H), en partenariat avec la coordination du programme de maîtrise en Histoire, Mémoire et Patrimoine (M-HMP) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), a organisé, le 31 juillet 2022, une conférence-débat sous le thème « zombification, culture et droit en Haïti ». Cette causerie s’inscrit dans le cadre des conférences mensuelles du Centre dont le but est de réfléchir sur la problématique du trinôme “savoirs locaux, tourisme et développement en Haïti”.

 

L’espace universitaire haïtien, via le CÉPAT-H et la coordination du programme de maîtrise en Histoire, Mémoire et Patrimoine de l’UEH, embrasse le phénomène de la zombification qui, depuis 2017, a suscité beaucoup de débats au Parlement haïtien et sur les réseaux sociaux. Selon le professeur Emmanuel Stéphane Laurent, principal intervenant de cette causerie, personne ne peut ignorer la zombification, car elle est une partie intégrante de la culture haïtienne.

 

Après un état des lieux de la question, l’anthropologue Emmanuel Stéphane Laurent définit la zombification comme un processus permettant d’aboutir à un zombi. «Par zombi, il s’agit d’un être humain apparemment vivant, mais inconscient, réputé un mort vivant, en Haïti. […] C’est une mort apparente, suivi d’un réveil des facultés mentales très amoindries, suppression quasi totale de la volonté et de la mémoire», souligne-t-on dans l’intervention du professeur qui classe les zombis en deux grandes catégories: les victimes de poison auxquelles on a administré de l’antidote et les personnes atteintes d’une anomalie cérébrale.

 

Selon M. Laurent, la zombification, suivant l’approche physico-chimique apparaît un fait scientifique vérifiable. En s’appuyant sur les travaux de Wade Davis, il révèle un ensemble de produits de base de la composition de la poudre de la zombification. « Il s’agit du crapaud bouga (bufo marinus) dont les glandes de la peau sécrètent une substance hallucinogène, la bufotéine ou 5-hydro-N-diméthyltryptamine; du poisson foufou, poisson-ballon, poisson-globe ou souffleur (diodon hystrix); du crapaud de mer (sphoerides testidineus) contenant aussi de la tétrodotoxine; d’une substance isolée de la peau d’une grenouille de Colombie: la batrachotoxine qui bloque la transmission neuromusculaire et provoque la contraction des muscles », peut-on énumérer.

 

Encore trouve-t-on des couleuvres, des tarentules, des milles pattes, des lézards, des raclures d’ossements humains et des produits animaux mélangés à des extraits végétaux comme le konkonb zombi (datura) employé comme hallucinogène et le pwa grate (mucura pruriens) connu pour ses effets urticaires. Emmanuel Stéphane Laurent soutient que ces substances, avec une certaine habilité du bòkò, sans entraîner la mort réelle, peuvent « provoquer un état léthargique optimal en durée et en intensité pour permettre l’inhumation et l’exhumation de la victime ».

 

Au moment où des soi-disant rencontres entre les zombis avec leurs familles ne cessent de faire la une en Haïti, le professeur Emmanuel Stéphane Laurent croit qu’il y a des précautions à prendre à ce sujet, puisqu’il existe aussi de faux zombis. Dans une telle situation, il propose ce qui suit: « […] Vérifier dans la tombe si le corps du supposé zombi y est absent; soumettre à une expertise dactyloscopique le supposé zombi. Les empreintes digitales étant une marque de l’identité biologique et civile, il faudrait s’assurer qu’il est une correspondance réelle entre le zombi et l’individu prétendument victime de zombification; il faudrait obtenir un test d'ADN entre le supposé zombi et les membres de sa famille. »

 

Quelle est la position du droit haïtien à l’égard de la zombification? Certes, l’article 246 de l’ancien Code pénal haïtien fait allusion à l'empoisonnement, mais il ne parle pas de la zombification. Or, l’empoisonnement n’est pas la zombification. Donc ce serait une approche simplificatrice et réductrice d’un phénomène plus complexe, répond le professeur Laurent, détenteur d’une licence en sciences juridiques.

 

Quant à l’article 281 du nouveau Code pénal haïtien, reporté en juin 2024, ayant rapport directement à la zombification, il ne mentionne pas le terme zombi. «Il n’en condamne pas moins tout d’abord les différentes étapes du processus de la zombification par la production de substances empoisonnant un individu en produisant un état léthargique et une affectation permanente de son état physique et mental», écrit-il en ajoutant que ledit Code fixe les peines de réclusion criminelle l’acte zombificateur de 15 à 20 ans ou de 20 à 30 ans de prison, selon la gravité du cas. Sur ce, si le zombificateur serait encore vivant, il faudrait mettre l’action publique en mouvement et procéder à son arrestation et le condamner pour son forfait, se positionne Emmanuel Stéphane Laurent.

 

Les organisateurs de cette conférence, qui en ont profité pour remercier le conférencier, ne cachent pas leur satisfaction. « […] C’est pour la première fois qu’un intervenant a pu réunir autant de personnes (environ une centaine) autour de lui dans le cadre des conférences mensuelles du Centre », lit-on dans une note conjointe publiée sur la page Facebook du CÉPAT-H.

 

Outre ces conférences mensuelles, le CÉPAT-H et la Chaire UNESCO en Histoire et Patrimoine de l’Université d’État d’Haïti (CUHP-UEH), de concert avec le Rectorat de l’UEH, la coordination du programme de maîtrise en Histoire, Mémoire et Patrimoine, l’Institut d’études et de recherches africaines d’Haïti (IERAH), le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) et le ministère de la Culture et de la Communication (MCC) annoncent la tenue d’un colloque scientifique, les 15 et 16 septembre 2022, autour du thème: « Haïti face à ses patrimoines, construire l’avenir ».

 

 

 Wilner Jean

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