Que peut faire la CARICOM pour la sécurité d’Haïti ?

Au cours des deux dernières semaines, l’actualité haïtienne est centrée sur les initiatives qui ont été confiées à la CARICOM (Caribbean Community ou en français Communauté de la Caraïbe) pour aider le pays à résoudre la grave crise multiforme et en particulier sécuritaire à laquelle il est confronté depuis près de quatre années. On a relevé d’abord une réunion baptisée 44e sommet de la CARICOM qui s’était tenue à Nassau, Bahamas du 15 au 17 février 2023 à laquelle avaient participé plusieurs pays du continent américain, dont les États-Unis et le Canada. Compte tenu de l’urgence de la situation, elle a été suivie sans délai d’une mission de cette organisation conduite le 27 février 2023 par le Premier ministre jamaïcain Andrew Holness en compagnie de représentants des Bahamas, de Trinidad-Tobago et du secrétariat de la CARICOM. Il s’agissait d’une mission rapide d’évaluation de la situation sécuritaire d’Haïti dans la perspective d’œuvrer au retour de la stabilité dans le pays à travers une solution « dirigée par les acteurs nationaux ». Cette mission était aussi l’occasion de rencontrer, outre le Premier ministre, mais aussi les responsables de plusieurs partis politiques, des personnalités du secteur des affaires, des organisations de la société civile haïtienne et de militants des droits humains. L’intention première de cette mission était d’aider à  promouvoir, un dialogue inclusif entre tous les acteurs afin d’éviter un recours à une intervention militaire.

Cependant, plus d’un considère qu’il s’agissait d’une mission inutile, étant donné que la CARICOM ne dispose ni de moyens diplomatiques ni de moyens militaires qui pourraient être mis à contribution pour résoudre un problème sur lequel les deux plus grandes puissances du continent ainsi que le Core Group n’ont pas pu apporter de solution depuis 2019.

Nous nous attèlerons à montrer dans notre développement comment les rapports se sont tissés entre Haïti et cette organisation régionale avant donner notre opinion sur le cœur du problème sécuritaire en Haïti et sur les capacités réelles de la CARICOM à jouer les médiateurs dans la résolution de la crise actuelle que traverse le pays.

1 Comment Haïti s’est intégré à la CARICOM ?

    1. La CARICOM en bref 

La Communauté des Caraïbes (CARICOM) dont le siège est à Georgetown (Guyana) et dont la présidence tournante est actuellement assurée par la Jamaïque a été créée depuis une soixantaine d’années par le traité de Chaguaramas (Trinidad), qui est entré en vigueur le 1er août 1973.

La CARICOM avait remplacé l'Association de libre-échange des Caraïbes (CARIFTA), qui avait existé entre 1965 et 1972. La CARIFTA avait elle-même été constituée pour renforcer l'alliance économique des pays anglophones des Caraïbes en lieu et place de la Fédération des Indes occidentales qui avait fonctionné entre le 3 janvier 1958 et le 31 mai 1962.

 

En plus de cinq membres associés qui sont tous des territoires britanniques et vingt-sept pays observateurs de tous les continents, la CARICOM a un poids démographique très faible avec un peu plus de six millions d’habitants. Elle regroupe aujourd’hui quinze États membres à part entière qui, dans une écrasante majorité, font partie de l’arc antillais, soit douze îles ou archipels des Caraïbes : Antigua et Barbuda, les Bahamas, la Barbade, la République dominicaine, la Grenade, Haïti, la Jamaïque, Montserrat, Sainte-Lucie, Saint-Kitts et Nevis, Saint-Vincent et les Grenadines, et Trinité et Tobago. Il faut y ajouter trois pays d’Amérique du Sud : Belize, le Surinam et la Guyana. Tous ces États parlent l’anglais, à l’exception du Surinam (néerlandais) et d’Haïti (français et créole), dont l’intégration a été effective au 3 juillet 2002.

Les objectifs de la CARICOM qui sont définis de manière détaillée dans ses statuts sont de contribuer au renforcement de la coordination et à la réglementation des relations économiques et commerciales entre ses membres ; de promouvoir l’intégration économique régionale ; d’établir des mécanismes de coopération de la communauté avec les pays tiers. La CARICOM joue aussi un rôle de médiateur dans les conflits et les crises politiques impliquant ses membres. Comme fut le cas, en 1997, lors d’un conflit « racial » à la Guyana, puis lors des élections législatives haïtiennes de 2000 et de la crise de 2003-2004 qui avait abouti au départ de Jean-Bertrand Aristide, lors de conflits territoriaux opposant Belize et le Guatemala, ou encore la Guyana et le Venezuela. En mai 2000, lors d’une grave crise électorale qui avait éclaté en Haïti, la CARICOM avait ouvertement condamné une initiative américaine visant à exclure le pays de l’Organisation des États américains.

1.2 Historique des relations d’Haïti avec la CARICOM

Haïti est d'abord entré dans la CARICOM le 4 juillet 1998 en tant que membre provisionnel ou provisoire pour en devenir membre de plein droit en 2002.

La CARICOM avait été sollicitée à trois reprises depuis le début de ce siècle pour aider à la résolution de crises en Haïti. D’abord, en 2000 pour prêter ses bons offices en vue de résoudre la grave crise électorale qui secouait alors  Haïti violemment. Puis, en 2003-2004 à la veille de la chute de Jean-Bertrand Aristide qui était en proie à une crise généralisée, y compris un début de guerre civile à l’initiative d’anciens officiers de l’armée d’Haïti qui étaient entrés au pays à partir de la République dominicaine. La CARICOM avait donné son soutien jusqu’au bout à l’ancien président dont il avait dénoncé le « coup d’État » qui avait écourté son second mandat.

La brouille qui avait alors éclaté avait duré tout le temps du mandat du gouvernement Boniface-Latortue. En mars 2004, la participation d'Haïti à la CARICOM a été suspendue par le Premier ministre Gérard Latortue en réponse à la visite du président haïtien sortant, Jean-Bertrand Aristide, en Jamaïque après son renversement le 29 février 2004. De l’autre côté, la CARICOM avait refusé de reconnaître le gouvernement intérimaire. La réintégration d’Haïti à la CARICOM n’avait pu se faire qu’à la suite de l'élection de René Préval et à la mise en place de son nouveau gouvernement en juin 2006. Toutes les relations avaient été pleinement rétablies entre Haïti et la CARICOM. Depuis, au moins deux grands sommets de l’organisation ont pu se tenir en Haïti, respectivement sous Michel Martelly en 2013 et sous Jovenel Moïse 2018.

La CARICOM devait revenir sur la scène conflictuelle d’Haïti depuis l’année 2021 où s’amorçait le pic de la crise politique et sécuritaire interminable qui sévit actuellement.

Haïti n’a jamais été bien vu dans cette organisation parce que les gouvernements successifs à la tête du pays ont toujours violé la Charte de la société civile de la CARICOM de 1997 en ce qui concerne les élections libres et équitables, la bonne gouvernance et les droits civils et politiques.

Par ailleurs, son admission depuis 2002 a toujours causé des problèmes d’intégration commerciale et économique et aussi linguistique, dont on ne peut prévoir à quel horizon ils seront résolus.

En fin de compte, Haïti n’a rien tiré de la CARICOM que l’avantage de participer à ses réunions tandis qu’il a dépensé beaucoup  d’argent dans l’organisation de rencontres qui s’étaient tenues sur son territoire, deux sommets de chefs d’État, respectivement les 18 et 19 février 2013 sous Michel Martelly pour son 24e sommet et les 26 et 27 février 2018 sous Jovenel Moise pour son 29e sommet.

1.3 Quel est le bilan de la CARICOM cinquante années après sa création ?

D’après Sir Ronald Sanders, alias Ron Sanders, ministre des Affaires étrangères d’Antigua-Barbuda, et l’une des têtes pensantes de l’organisation, il a été établi qu’après environ cinq décennies, le projet régional n’a pas réussi à tenir les engagements attendus du Traité de Chaguaramas de 1973 et de sa révision en 2001 qui avait jeté les bases d’un espace économique unique, le marché et l’économie uniques des Caraïbes (CSME). Les tentatives d’intégration régionale n’ont fait très peu de progrès malgré les multiples rencontres. « Pas même une union douanière, le marché commun n’a été établi ».

Le Secrétariat, qui avait démarré avec brio au départ a sombré dans la paralysie et la gestion bureaucratique, en plus d’être mal financé. Par ailleurs, la CARICOM s’est élargie prématurément au lieu de se concentrer sur l’approfondissement de son intégration.

Les Bahamas ne sont pas membres des aspects du marché commun de la CARICOM à cause de l’incohérence de  ses gouvernements dans la coordination de la politique étrangère avec les autres États de la CARICOM.

La Jamaïque a toujours eu un comportement égoïste, se concentrant uniquement sur ses échanges avec Trinité-et-Tobago et ignorant le fait qu’elle bénéficie d’un important excédent commercial avec tous les autres États de la CARICOM.

En conséquence, l’existence de la CARICOM est menacée par le comportement quelque peu intransigeant de la Jamaïque et des Bahamas sur les questions d’intégration commerciale qui peuvent à tout moment aboutir à l’affaiblissement de l’organisation.

 

 

2 La CARICOM peut-elle comprendre le problème sécuritaire en Haïti ?

2.1 L’aggravation de la situation sécuritaire en Haïti

La situation sécuritaire en Haïti s’est considérablement aggravée au cours des cinq dernières années, soit aussitôt après le départ des troupes de la MINUSTAH dont le travail de pacification considérable avait réduit presqu’à néant les actions des groupes armés de Bel-Air, de Solino et surtout de Cité Soleil lors de l’opération Bagdad (2004-2005). Malgré les griefs que certains nourrissent contre la MINUSTAH, il faut reconnaitre que ses opérations avaient pu éviter que le pays n’ait sombré à l’époque dans une situation analogue à celle que l’on vit de nos jours. La Police nationale d’Haïti était beaucoup plus faible en 2004 que de nos jours en raison des déchirements internes qui l’avaient affectée après le départ de Jean-Bertrand Aristide. En plus, il n’y avait alors vraisemblablement dans la capitale qu’une dizaine de gangs. En 2004-2005, on n’entendait pas encore parler des gangs de Martissant ni de Village-de-Dieu qui étaient peut-être en gestation. Dans l’intérieur du pays, on parlait de quelques gangs qui sévissaient aux Gonaïves, notamment le gang dit Armée cannibale, créé par le tristement célèbre Amiot Métayer qui avait été assassiné en janvier 2004.

De nos jours, les gangs se sont étendus dans l’ensemble du pays et on parle depuis 2021 de 200 gangs. Mais, le nombre augmente régulièrement au point que certains disent que de nouveaux gangs sont créés chaque jour sur le territoire haïtien.

Les actions de ces gangs sont particulièrement spectaculaires à la capitale dont ils contrôlent plus de 70% de l’espace ; ainsi que dans le Bas-Artibonite qui est presqu’entièrement tombé dans leurs mains. Les exactions de ces gangs sont connues : meurtres contre d’innocentes victimes, enlèvements de citoyens de toute catégorie sociale, violence sexuelle, occupation et vols de biens de leurs victimes, destruction d’installations de la Police nationale, incendies et pillages de résidences dans les quartiers où ils sévissent.

Ces gangs opèrent aussi bien par terre que par mer parce que la PNH ne possède pas de vedettes capables de poursuivre les bateaux des groupes dont les bases sont situées le long du littoral de la baie de Port-au-Prince, la surveillance assurée de manière non continue par la Marine américaine ne concernant que les engins qui transportent les boat-people.

Le grand problème est l’incapacité de la Police nationale de venir à bout de leurs actions parce qu’ils appliquent des techniques de guérilla qui surprennent les agents des forces de l’ordre et aussi parce qu’ils possèdent des armes souvent plus performantes que ces derniers comme des fusils à vision nocturne.    

Depuis septembre, l’aire métropolitaine est entièrement encerclée avec des contraintes pour y entrer ou pour en sortir, allant des problèmes de sécurité des vies et des biens au paiement exigé pour les droits de passage des véhicules qui empruntent les points qui sont dans les quartiers ou  les zones  qu’ils contrôlent.

Des appels à l’aide internationale en vue de l’envoi d’une mission militaire ont été lancés depuis septembre 2022 par le gouvernement haïtien, mais qui sont restés sans écho de la part des puissances régionales (États-Unis et Canada) ou des Nations unies. D’ailleurs, malgré la gravité de la situation, aucun pays ne s’est proposé pour prendre le leadership d’une intervention militaire.

Plus d’un pense qu’une telle attitude s’explique par la fatigue de la Communauté internationale qui est intervenue trop souvent à l’occasion des crises à répétition que connait ce pays. Parfois, des crises électorales interminables pour lesquelles l’aide de pays du continent est sollicitée, ou encore l’appui d’organisations régionales, comme l’OEA et la CARICOM ou encore l’Organisation des Nations unies. 

Depuis trois ans, avec l’aggravation de la crise actuelle, les délégués de pays étrangers (États-Unis et Canada, notamment et d’organisations régionales ou multilatérales) se sont succédé sans succès pour inciter les Haïtiens à se rapprocher. Cependant, comme les représentants des partis politiques sont toujours restés inflexibles sur leurs positions sans prendre conscience que leurs querelles interminables et purement égoïstes nuisent considérablement à l’existence du pays.

2.2 La CARICOM a-t-elle bien abordé la thématique de la question sécuritaire en Haïti ? 

À part, les informations qui circulent dans la presse internationale, on peut croire que la CARICOM ne possède aucune donnée approfondie sur la situation sécuritaire en Haïti, d’autant que même la Police nationale d’Haïti, avec ses moyens très limités, ne possède pas de base de données sur les groupes armés qui opèrent çà et là dans le pays.

 

On doit aussi se poser la question de savoir si la question de la crise aigüe que vit Haïti est abordée de la meilleure des façons. Dans un pays qui compte plus de 130 partis politiques comme l’a fait la délégation de la CARICOM, lors de sa mission du 27 février 2023, rencontrer seulement huit partis politiques en l‘espace de quelques heures, même si ce sont ceux qui sont les plus influents, ne semble rien signifier.

 

Le Canada possède sans doute des données cartographiques depuis la mission qui a été effectuée fin janvier 2023 à deux reprises début février à travers le survol de l’espace de la zone métropolitaine de Port-au-Prince par un avion de reconnaissance militaire. 

2.3 Les étrangers qui s’occupent du cas d’Haïti ont-ils compris la situation sécuritaire actuelle ?

L’attitude des pays ou des organismes qui conseillent Haïti à propos de sa crise politique et sécuritaire depuis 2021 est toujours restée la même. Ils recommandent toujours aux protagonistes d’essayer de s’entendre à travers la signature d’un accord de toutes les parties. Parfois, en fixant des délais qui sont ignorés par ces derniers. Cas des États-Unis, du Canada, du Core Group, du BINUH et des Nations unies. L’exercice devient une routine diplomatique qui reste toujours sans issue.

Avec l’aggravation récente de la situation, les mêmes conseils qui sont donnés depuis des années ne peuvent plus être opérants et il s’agit désormais d’un appui sérieux qui doit être fourni  au pays sous une forme ou sous une autre. Et plus le temps passe, plus s’éloigne la perspective d’une solution à l’amiable.

Certains pensent que les États-Unis ou le Canada finiront par prendre contre leur gré le leadership d’une action militaire en cas de menace de massacres de masse ou de génocide.

En plus, les pays ou les organisations qui veulent jouer les médiateurs sont manifestement à côté de la plaque s’ils ne savent pas que la réalité de la situation sécuritaire relève d’une action contre les groupes armés qui contrôlent les zones rouges du pays qui échappent aux autorités gouvernementales et où la Police nationale ne peut accéder.

De toute façon, il ne sert à rien de continuer à vouloir inciter les partis politiques à un accord. Le problème est essentiellement d’une tout autre nature.

Enfin, quand on considère les communiqués publiés avant et après la mission de la CARICOM en Haïti, force est de constater que les pays qui veulent jouer les médiateurs semblent ne pas comprendre ni l’ampleur ni l’urgence de notre crise sécuritaire.

En effet, le 26 février, le Premier ministre canadien Justin Trudeau qui avait rencontré le Premier ministre jamaïcain avait souligné « la nécessité de continuer à soutenir une solution dirigée par Haïti à la crise que le pays affronte » moyennant la facilitation « d’un dialogue politique inclusif et l’importance de renforcer les capacités de la Police nationale d’Haïti pour apporter de la stabilité à ce pays ». Ce qui n’est pas du tout à la hauteur de la situation actuelle d’Haïti.

D’autre part, le surlendemain de la mission du 27 février, le même Premier ministre canadien qui avait encore rencontré son collègue jamaïcain avait évoqué l’importance des sanctions et de garder le contact en vue « d’apporter l’aide et le soutien nécessaire pour répondre aux besoins du peuple haïtien… »

3. Comment considérer l’implication de la CARICOM dans la crise haïtienne ?

3.1 L’implication de la CARICOM pour la gestion de la crise sécuritaire paraît étrange

L’implication de la CARICOM pour la gestion de la crise sécuritaire haïtienne paraît étrange en raison de son faible poids diplomatique et militaire. La CARICOM ne peut imposer de solution diplomatique là ou les Américains, les Canadiens et les organisations internationales (d’ordre bilatéral et multilatéral) ont échoué. Sur le plan militaire, ses pays ne peuvent fournir qu’un appoint en envoyant quelques dizaines de soldats ou de policiers. On peut considérer qu’Haïti est désormais pris en sandwich entre la CARICOM et le Canada.

 

Tout porte à croire que la CARICOM est une carte utilisée par les grands pays du continent pendant que pourrit la situation en Haïti, sachant d’ailleurs que la Police nationale est totalement dépassée par les actions des groupes armés qui ne cessent de gagner quotidiennement du terrain. On a d’ailleurs vu que cette semaine, la situation sécuritaire a continué à se dégrader dangereusement. Plus d’un qui se trouve dans un quartier qui n’est pas encore sous le contrôle  des bandits se pose la question de savoir quand viendra son tour.

On peut croire que le Canada qui s’affiche en première ligne pour la résolution de la crise haïtienne après avoir sanctionné plus d’une dizaine de personnalités qui sont considérées à l’origine des troubles actuels et qui hésite depuis trois mois à s’impliquer militairement sur le terrain se cache derrière la CARICOM avant de sauter le pas. On a vu que le Premier ministre Justin Trudeau était à la manœuvre à la 44e réunion de l’organisation, qu’il était encore en conférence avec le Premier ministre jamaïcain la veille de la mission de la délégation de la CARICOM qui était venue en Haïti le 27 février et encore en conférence avec Andrew Holness le lendemain de sa mission auprès des acteurs haïtiens.

En plus, le Canada, comme nous l’avons souligné ci-devant, est en train d’accumuler des renseignements tant par voie aérienne que par voie navale, deux bateaux de ce pays se trouvant dans les eaux haïtiennes depuis le 2 mars.

À quoi servirait tout cela si ce n’est pour préparer le terrain et finalement aboutir à une action musclée, parce qu’on s’imagine mal que les puissances du continent américain et du reste du monde laisseront Haïti sombrer dans une sorte de génocide. Attendons le dernier moment pour voir comment les choses vont se dérouler quand on aura atteint l’intenable.

Mais, il faut aussi répondre à la question de savoir comment serait considérée une opération militaire étrangère en Haïti.

3.2 Les Haïtiens face à la perspective d’une intervention militaire étrangère

Si l’on considère les déclarations de certains leaders politiques et une ou deux manifestations qui ont été organisées vers la fin de l’année 2022, la perspective d’une intervention étrangère diviserait les Haïtiens. Plusieurs intervenants se sont déclarés hostiles à une telle initiative, quelques-uns au nom des héros de l’indépendance. D’autres avaient affiché ouvertement leur préférence pour un appui à la Police nationale. Qui prendra combien de temps alors que certains pensent qu’une action sérieuse s’avère des plus urgentes, pour eux, ce n’est pas une affaire de six ou douze mois, mais de semaines avant que tout ne s’effondre dans la capitale.

Parallèlement, les sondages d’opinion semblent être en faveur d’une acceptation d’une intervention militaire. En octobre 2022, 81 % des personnes interrogées appuyaient la première demande du gouvernement d’un appui pour aider la Police nationale à combattre le grand banditisme. Les chiffres semblent avoir baissé quelques mois après, puisque selon les résultats du sondage le plus récent réalisé en février 2023 par Diagnostic and development Group à la demande de l’AGERCA, 69% de la population seraient favorables au débarquement de troupes étrangères dans le pays.

Il est difficile de prendre les sondages en Haïti pour parole d’évangile quand on connaît les conditions difficiles de circulation dans le pays.

Conclusion

À l’heure du pic de la crise sécuritaire en Haïti, la plupart des Haïtiens sont profondément désespérés parce qu’ils ne voient pas du tout la perspective d’une solution urgente à la situation difficile que traverse le pays. Si plusieurs d’entre eux ont réussi à quitter leur terre natale et continuent des démarches pour partir à l’étranger, les départs ne constitueront qu’une goutte d’eau au titre de solutions individuelles. Les puissances étrangères nous ont de toute évidence mis dans le même sac que des États ingouvernables comme le Congo, le Yémen, qu’ils laissent cuire dans leur jus, parce qu’ils ont déjà dépensé trop d’argent pour des interventions pacifiques et militaires qui n’ont jamais pu résoudre leurs problèmes d’instabilité politique chronique. La CARICOM que les grandes puissances militaires ont voulu impliquer dans la gestion de la crise sécuritaire ne pourra absolument rien faire qui vaille et sera obligée à très court terme d’abandonner le dossier d’Haïti. La question qu’il faut se poser dans cette situation est de savoir quand les Haïtiens comprendront qu’il est temps de se mettre ensemble pour édifier un pays normal. Enfin, si on considère que le problème actuel ne peut être résolu que par un accord entre les partis politiques, on est à côté de la plaque. Le problème actuel d’Haïti est avant tout un problème sécuritaire avant d’être un problème purement politique.

 

 

            Jean SAINT-VIL

jeanssaint_vil@yahoo.fr

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