Haïti en sandwich entre le Salvador et la communauté internationale

On se rappelle l’empressement que la communauté internationale avait manifesté pour venir au secours d’Haïti à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Et aussi l’empressement des États-Unis et de la France pour le rétablissement de la démocratie après le départ de Jean-Bertrand Aristide le 28 février 2004, suivi  de la création et de la mise en place de la MINUSTAH qui avait aidé au maintien d’une stabilité relative jusqu’en 2017. Autant d’évènements qui ont toujours fait penser à nos gouvernants qu’ils peuvent compter à tout moment sur « les pays amis » chaque fois que se précise pour eux la menace de perdre le contrôle de la situation. Mais, la réalité au cours des deux dernières années et particulièrement au cours des cinq derniers mois où la crise haïtienne s’est intensifiée a montré que le pays ne peut plus compter sur le soutien facile de la communauté internationale quand il est en proie à une situation sécuritaire extrême.

La question que l’on se pose est de savoir qu’est-ce qui explique cette attitude, ou selon certains, cette indifférence ou cet abandon de la Communauté internationale vis-à-vis du cas d’Haïti ?

1 Les demandes récentes d’Haïti pour faire face à sa crise sécuritaire

1.1 Les démarches des gouvernements haïtiens en vue d’obtenir une assistance militaire pour résoudre la crise sécuritaire

La toute première demande d’assistance sécuritaire auprès de « pays amis » a été produite par Jovenel Moise au mois de mars 2021, quatre jours après l’opération ratée à Village de Dieu où quatre policiers avaient été tués après une tentative d’entrer dans ce quartier. Il s’agissait d’une « demande d’aide à l’Organisation des États américains pour lutter contre les gangs armés qui imposent leur droit dans la capitale haïtienne ». L’ancien président avait bien pris le soin de préciser qu’il s’agissait d’une demande « d’un support technique à la Police nationale dans sa lutte contre « le banditisme et le terrorisme ».

Une autre démarche presque dans le même genre a été effectuée pendant l’intérim de Claude Joseph qui avait demandé au gouvernement américain, quatre jours après l’assassinat de Jovenel Moise, soit le 11 juillet 2021, « une aide sécuritaire et en matière d’enquête». Il s’agissait d’une demande d’aide limitée  qui pourrait concerner quelque 500 militaires en vue de protéger des « infrastructures vitales comme les ports, les aéroports, les terminaux pétroliers ou le transport des produits pétroliers ».

Et puis, ce fut, par la suite, la requête produite officiellement par le gouvernement d’Ariel Henry entérinée par le Conseil des ministres du 7 octobre 2022 pour solliciter le soutien militaire de la Communauté internationale afin d’aider le pays « à résoudre la crise de sécurité et de déterminer les caractéristiques de la force de sécurité internationale ».

 

1.2 Le triste sort des demandes des gouvernements haïtiens pour le règlement de la crise sécuritaire

Aucune de ces demandes n’a été suivie de manière positive, malgré les nombreuses réunions de plusieurs organismes internationaux, en particulier du Conseil de sécurité des Nations unies. Malgré aussi l’insistance du secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, qui s’était fait très tôt l’écho de la demande du gouvernement haïtien auprès des pays membres de l’organisation, à la date du dimanche 9 octobre 2022 pour exhorter « la communauté internationale, y compris les membres du Conseil de sécurité, à examiner en urgence la demande du gouvernement haïtien de déployer sans délai une force armée spécialisée internationale pour faire face à la crise humanitaire ». Qu’on se rappelle qu’on se trouvait alors en plein bocage de la distribution des produits pétroliers et du port de Port-au-Prince, à la suite de la prise de contrôle du terminal de Varreux par un bande armée.

 

Les réunions du Conseil de sécurité se sont enchainées plusieurs fois sur le cas d’Haïti, la première ayant été tenue le mardi 11 octobre 2022 à la suite de la convocation de la rencontre par Antonio Gutteres. La lettre de convocation, très optimiste, soulignait l’urgence d’une intervention militaire onusienne qui « aurait pour objectif de mater la menace que représentent les groupes criminels armés et de fournir une protection aux infrastructures et aux services en plus d’assurer la libre circulation de l’eau, du carburant, de la nourriture et des fournitures médicales depuis les principaux ports et aéroports jusqu’aux communautés et aux établissements de soins ». Elle stipulait aussi « qu’un retour à une forme d’engagement plus imposante sous forme de maintien de la paix demeure un dernier recours si rien d’autre n’est fait de manière urgente par la communauté internationale ».

Étant donné qu’un accord n’avait pu être obtenu entre les puissances membres du Conseil de sécurité, cet organisme s’était contenté dans une autre réunion, de prendre des sanctions contre l’un des chefs de bande armée à travers la résolution 2653, prise le 21 octobre 2022.

Plusieurs réunions du Conseil de sécurité s’étaient succédé au cours desquelles la Russie et la Chine s’étaient déclarées opposées à l’envoi des contingents étrangers. Ainsi, lors de la réunion du 17 octobre 2022, le « représentant russe Dmitry Polyanskiy avait alors appelé à peser toutes les conséquences d’envoyer des contingents étrangers, jugeant inacceptables les interférences dans le processus politique haïtien de la part d’acteurs régionaux connus qui considèrent le continent américain comme leur arrière-cour ».

Il y a eu d’autres réunions sur le cas d’Haïti, à peu près une par mois. Pour ce qui concerne le Conseil de sécurité des Nations unies, d’abord le mercredi 21 décembre 2022, le mardi 24 janvier 2023, suivies par plusieurs visites d’officiels Américains, Canadiens et d’un haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, qui avait effectué une mission officielle de deux jours en Haïti les mercredi 8 février et jeudi 9 février 2023.

Il y a eu des rencontres du même genre, d’ordre régional. À l’Organisation des États américains. Soulignons celle qui s’est tenue à Lima, la veille de la demande d’assistance militaire effectuée par le gouvernement haïtien. C’était le jeudi 6 octobre 2022 où 19 pays s’étaient réunis pour « discuter de la façon dont la communauté internationale peut aider à répondre à la crise haïtienne ». Le communiqué qui était publié à l’issue de cette rencontre s’était borné à « réaffirmer la solidarité des participants avec Haïti, l’importance de promouvoir des solutions élaborées par et pour les Haïtiens et la nécessité de promouvoir rapidement une assistance ciblée et des mécanismes de collaboration visant à obtenir des résultats durables au profit du peuple haïtien ».

Elle a été suivie d’une autre réunion du Conseil permanent de l’Organisation des États américains tenue le 10 février 2023. Ce conseil avait adopté par acclamation une résolution sur Haïti intitulée « Soutien renouvelé pour une assistance en matière de sécurité et humanitaire, pour des élections inclusives, libres, justes et crédibles et pour une transition démocratique en République d’Haïti ». « Plusieurs ambassadeurs auprès de l’OEA avaient appelé à une action urgente, votant pour la création de groupes de travail chargés de décider de la meilleure façon pour les États membres de participer à des questions telles que le trafic d’armes et une proposition de force multinationale pour aider la police à rétablir l’ordre ». La résolution qui a été adoptée n’avait pas du tout donné suite à la demande de l’ambassadeur d’Haïti, Léon Charles, qui avait « réitéré devant la session plénière de l’organisation que le pays avait besoin que des forces étrangères soient envoyées sur son territoire pour contenir la violence et garantir la sécurité dans un éventuel processus électoral ».

 

D’autres réunions, toujours dans le cadre régional, s’étaient tenues au cours des deux premiers mois de l’année 2023. D’abord, celle de la Communauté des États de l’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui s’était déroulée à Buenos Aires, en Argentine, le dimanche 22 janvier 2023. Là encore, rien de satisfaisant par rapport à la demande d’assistance militaire du gouvernement haïtien. La CELAC avait simplement recommandé d’encourager les pays membres, dans la mesure du possible, à étudier les options présentées par le Secrétaire général des Nations unies dans sa lettre du 8 septembre 2022 adressée au président du Conseil de sécurité (S/2022/747), relative à leur participation à la force multinationale spécialisée sollicitée par Haïti. 

C’est au cours de cette réunion que le président du Salavador, Nayib Bukele, par l’intermédiaire de son vice-président, Félix Ulloa,  avait promis son aide à Haïti pour lutter contre les gangs. En clair, il ne s’agissait de fournir une aide militaire, mais d’une expertise technique. Soulignons que Le Salvador est en effet un petit pays de 6,3 millions d’habitants, presque de la même taille qu’Haïti (21 041 km2), qui a réussi en moins de deux années à réduire considérablement les méfaits des gangs. Les gangs de ce pays, dont 66 000 membres sont actuellement emprisonnés, sont considérés comme responsables de nombreux homicides depuis plusieurs années, soit 1147 en 2021. Mais ce nombre a été réduit à 496 en 2022.

Des dépenses importantes ont été consenties pour la lutte contre les gangs salvadoriens. C’est ainsi qu’une gigantesque prison de 40 000 places a été construite pour incarcérer les bandits.

Il semble que Haïti n’a pas à ce jour répondu officiellement à la proposition de Bukele qui avait bien souligné qu’il « n’y a aucune possibilité pour El Salvador d’envoyer des troupes ou des groupes de police en Haïti ».

 

Personnellement, je nourris beaucoup de doutes sur la possibilité du Salvador de comprendre et de pouvoir évaluer la situation sécuritaire d’Haïti où l’impénétrabilité des bidonvilles est un avantage pour les groupes armés. Il n’est pas facile de circuler dans nos quartiers pour arrêter les bandits. Peut-être, dès les premiers jours, le petit groupe d’experts pourrait-il se faire descendre par surprise par les hommes de nos groupes armés.

 

 

Il ne faut pas oublier la 44e réunion des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) qui s’était tenue aux Bahamas du 15 au 17 février 2023 à laquelle avaient participé plusieurs pays du continent, dont les États-Unis et le Canada à titre d’observateurs agréés. Cette réunion sur laquelle le Premier ministre haïtien avait placé beaucoup d’espoir pour obtenir une assistance militaire en vue de rétablir la sécurité en Haïti n’avait pas non plus comblé les espoirs des autorités haïtiennes. À la fin de la réunion, les représentants des pays membres avaient affirmé qu’une action est nécessaire de la part de la CARICOM compte tenu de l’insécurité croissante et de son impact sur toutes les facettes de la vie haïtienne, mais qu’ils n’enverraient pas de troupes en Haïti. Tout au plus, ils sont disposés à prêter diverses formes d’assistance à la sécurité en Haïti pouvant contribuer « au renforcement de la capacité de la Police nationale d’Haïti à protéger la population générale contre les activités criminelles ».

Ce qui ne changera rien au mal d’Haïti où la Police, qui ne dispose que d’un faible effectif, n’est pas du tout préparée pour venir à bout des activités des gangs. Combien de temps faudra-t-il pour renforcer les agents de la PNH et leur apprendre le maniement d’armes performantes et les techniques de lutte efficaces contre les gangs ?

2. Pourquoi la Communauté internationale ne répond-elle pas cette fois-ci à l’appel du gouvernement haïtien ?

On sait que depuis 1994, la Communauté internationale est intervenue, souvent promptement aux demandes d’Haïti, soit pour réinstaller des chefs d’État au pouvoir quand ils ont été renversés, soit plus strictement pour des missions de maintien de la paix dans le pays le plus instable du continent américain. Ce qui totalise environ une dizaine de fois aux demandes d’Haïti. Plusieurs raisons ont été avancées par les uns et les autres.

Certains parlent de lassitude de la Communauté internationale face aux problèmes récurrents de stabilité dans le pays. Il n’est en effet pas normal que 1994 à 2004, le pays ait été bénéficié d’une dizaine de missions étrangères pour sa stabilité. Étant donné que ces missions coûtent très cher, on comprend que les pays sont peu enclins à s’embarquer dans de telles opérations, sachant que cela va durer et qu’il faudra revenir quelques années après leur départ.

2.1 Pourquoi les États-Unis et le Canada ne veulent pas répondre à l’appel ?

Certains pays comme les États-Unis ont plusieurs raisons pour ne pas intervenir. Une intervention du pays de l’Oncle Sam pourrait coûter les élections au Parti démocrate en 2024 et le peuple américain commence d’ailleurs à être fatigué du coût exorbitant de la Guerre d’Ukraine.

Enfin, si les Américains intervenaient seuls en l’absence de l’agrément du Conseil de sécurité des Nations unies, ils seraient taxés de pays envahisseurs. 

Pour sa part, Le Canada, malgré l’insistance des États-Unis, n’a pas de tradition d’intervention militaire unilatérale dans un pays. Et puis, pour récolter quoi en retour ?

2.2 Les nouvelles raisons imputées à la communauté internationale

D’autres observateurs pensent que Haïti est passé dans une liste de pays « dans lesquels les crises sont considérées comme normalisées, c’est-à-dire constitutives du fonctionnement de ces sociétés, comme le dit Franklin Benjamin dans un récent article : « Méprise et dialogue de sourds entre les élites haïtiennes et la communauté internationale ».

 

Longtemps, selon lui, Haïti a pu bénéficier, selon lui, d’une proximité géographique qui poussait les États-Unis à intervenir chaque fois qu’empirait sérieusement la situation sécuritaire sans que pointait la possibilité pour les forces armées haïtiennes d’arriver à une normalisation. Selon lui, Haïti a longtemps figuré sur une liste de pays « protégés ou à protéger, des listes des pays dont le rôle est de permettre le déploiement de la puissance des puissants, des listes de pays de l’axe du mal (l’appellation peut changer selon le contexte), et celles  des  pays dont on ne sait pas quoi en faire… ».

Dans cette dernière catégorie « figurent ceux dont on considère leur crise comme irrémédiable et donc à laisser se dévorer par leur propre passion destructive ». On y trouve des pays comme la Somalie, la Palestine, la Libye, l’Afghanistan, le Yémen, la République démocratique du Congo, et quelques autres. L’auteur croit que Haïti semble être un dernier ajout récent à cette liste de pays dont la communauté internationale ne sait quoi en faire, mais dont elle est obligée de parler.

 

L’auteur a bien précisé que la communauté internationale ne se soucie d’intervenir plus dans les pays dont la crise est considérée comme normalisée. « Aucun pays ne se soucie aujourd’hui d’intervenir comme au Yémen, en Somalie ou en Palestine ».

 

La communauté internationale se borne à demander à leurs ressortissants d’éviter de se rendre dans ces pays et se contente de maintenir des relations minimalistes avec ces pays. Finalement, dit-il, l’ONU cesse de s’inquiéter et l’abandon ne finit pas par être consommé.

 

L’auteur a aussi souligné que lorsqu’un pays change de liste, certains membres de ses élites sont considérés comme des parias contre lesquelles des sanctions sont alors prises.

 

Enfin, « sur le plan culturel, les sociétés considérées sont perçues comme étant incompatibles avec certaines caractéristiques de la modernité politique. Tantôt, pour la question des droits des femmes, tantôt pour celle de  la représentation institutionnelle, tantôt encore pour la difficulté de maîtrise des principes élémentaires du capitalisme qui permet de régler son compte à un pays considéré comme déviant ».

L’auteur avait conclu que le fait que Haïti concentre tous ces ingrédients permet de mieux comprendre la réticence de l’internationale quant à un engagement pour l’envoi d’une force militaire multinationale dans le pays, soulignant d’ailleurs que, mis à part les USA et le Canada, qui interviennent régulièrement sur Haïti …, le pays est totalement absent de l’agenda des institutions internationales aujourd’hui. 

Conclusion

La crise sécuritaire haïtienne qui ne cesse de s’aggraver montre que Haïti est de plus en plus abandonné à son triste sort par la communauté internationale qui n’est plus intéressée pour intervenir promptement à son secours. Le grand problème est que les Haïtiens, malgré la gravité de la situation auquel le pays est en proie, n’ont pas encore pris conscience de l’impasse dans laquelle le pays s’enfonce et qu’il leur appartient désormais de résoudre seuls leurs problèmes de sécurité. On n’est pas loin de l’incontrôlable et il n’est pas impossible que cela aboutisse à des tueries en masse, puisque les crimes se multiplient avec le risque de passer à la vitesse supérieure et à un pays fragmenté avec à la clé une crise humanitaire sans précédent.

 

Jean Saint-Vil

Jeanssaint_vil@yahoo.fr

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