Beaumont, quatre ans d’absence policière : du silence à l’oubli

Située à l’entrée du département de la Grand-Anse, la commune de Beaumont est limitrophe des communes de Corail, Pestel, Roseaux, Chantal et Torbeck. La commune est découpée en trois sections communales : Beaumont, Chardonnette et Mouline. Sa population est estimée à 36 968 personnes en 2022. Sa position géographique et ses activités économiques font de la cité de Plymouth une plaque tournante dans la migration interne et l’économie du grand Sud.

 Depuis le 27 novembre 2018, suite à un incident malheureux qui impliquait un policier affecté au seul commissariat de la commune, la Police nationale a plié bagage. En effet, au cours de la bavure policière enregistrée dans la localité de « Nan Ginen », l’agent en question, pour prendre la fuite, a tiré à bout portant sur un citoyen nommé Camsio qui circulait à motocyclette. L’agent a réussi à prendre la motocyclette de Camsio qui lui a servi de bouée de sauvetage et fui en direction du Commissariat. Cette maison de la famille Saint-Jean située à la rue Roumer, louée par le ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP) pour héberger les policiers a connu la rage des riverains de la zone qui protestaient contre le décès tragique de ce motard.

« À Beaumont, la sécurité ne relève plus d’une structure étatique », c’est le témoignage de plusieurs Beaumontois qui fustigent l’attitude des autorités du MJSP et du haut commandement de la PNH. Des cris de désespoir dans une communauté paisible caractérisée par le souci du vivre ensemble. La Constitution haïtienne en ses articles 269 et suivants établit la Police nationale d’Haïti comme force publique chargée de la sécurité des vies et des biens. En ce sens, elle offre à la population le service public de sécurité, et par conséquent, il est impératif que cette institution soit représentée sur tout le territoire national.

Depuis son élévation au rang de commune en 1983, le service public de sécurité y était assuré par la caserne des Forces armées d’Haïti ouverte au centre-ville de Beaumont. Avec sa création en 1994, la PNH s’est installée dans la commune avec la présence d’environ 5 policiers pour l’ensemble de la population. Jusqu’au jour de l’incendie du commissariat le 27 novembre 2018, aucun autre poste de police n’a été ouvert au niveau des sections communales, malgré les actions entreprises en ce sens par les autorités qui se sont succédé au niveau de la mairie. De novembre 2018 à novembre 2022, le MJSP a connu cinq ministres et la PNH, quatre directeurs généraux. Aucun d’entre eux n’a pris de disposition en vue de faciliter le rétablissement de la police dans la commune en dépit des démarches à répétition effectuées par l’administration municipale durant ces quatre ans.

Cette expérience inédite pour la population livrée à elle-même a occasionné pas mal de dommage dans le contexte de gangstérisation du pays. Entre-temps, les actes de violence, de viol, de vol, de pillage et d’assassinat se sont intensifiés tant au centre-ville qu’au niveau des sections communales, sans que la justice ne puisse sévir contre les délinquants. Les juges de paix ne peuvent remplir convenablement leur fonction, les mandats ne peuvent pas être exécutés à cause de l’absence de cette force contraignante, auxiliaire de la justice. En cas d’arrestation d’un prévenu par un particulier et sur ordre du juge de paix, il est donc acheminé au sous-commissariat de Duchity, section communale de la commune de Pestel, à la charge du plaignant ou d’un CASEC, pour être gardé à vue avant son transport le cas échéant, à la prison civile de Jérémie.

Selon les dispositions du décret du 1er février 2006 sur l’organisation et le fonctionnement de la collectivité municipale, en ses articles 116 et suivants, le maire préside un conseil de sécurité dans la commune ayant pour mission de planifier les stratégies de sécurité sur l’entendue du territoire de la commune. Ce conseil inclut non seulement le responsable de la police de la commune, mais aussi a besoin des agents de maintien d’ordre pour la mise en œuvre du plan de sécurité municipale. La Police nationale est seule chargée de cette mission lorsqu’on sait que le projet de police municipale a essuyé un échec au niveau du ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales. En conséquence, l’administration municipale se trouve dans une situation d’attente d’une décision de Port-au-Prince pour connaître si oui ou non la police doit être présente dans la commune.

Dans un souci d’encourager les autorités centrales, l’administration de Faveur Alexis, maire de Beaumont (2016-2020), a fait l’acquisition d’un terrain juxtaposé à la route nationale No 7 à Cassannette, à l’entrée est de la ville, destiné à la construction du commissariat de Beaumont. Des démarches ont aussi été entreprises auprès d’autres institutions en vue de créer un meilleur environnement de travail pour les policiers, toutefois la mairie n’a pas obtenu la réouverture du commissariat. La société civile de Beaumont travaille sans relâche et des démarches se poursuivent auprès de l’actuel Directeur général de la Police, M. Frantz Elbe, toujours dans le seul objectif de rouvrir le commissariat après quatre longues années d’attente.  

L’absence des forces de police dans une commune représente un handicap majeur quant à l’exécution des décisions de justice et à la mise en œuvre des politiques publiques tant à l’échelle nationale qu’au niveau local. La sécurité étant considérée comme l’un des premiers besoins de l’homme, constitue un bien public qui ne peut être garanti que par les forces publiques dans un État de droit. Le recours à la force et à la vengeance privée est donc banni, il revient à l’État et à lui seul d’agir légitimement pour protéger la vie et les biens des citoyens. Foi en cela, cette situation alarmante ne peut continuer et doit être abordée avec célérité, car les fillettes, les enfants, les paysans, les commerçants, sont entre autres catégories qui subissent cette absence tant au niveau du centre-ville qu’au niveau des trois sections communales. La population reste toutefois confiante que les autorités étatiques vont agir en vue de remédier à cet état de fait et rétablir la présence de l’autorité policière dans la commune.

 

Amos Lindor

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