Carole Demesmin, une chanteuse à l’œuvre intemporelle

Carole Demesmin est une dame qui porte plusieurs chapeaux. On la connaît publiquement comme chanteuse, mambo, militante culturelle et même actrice[1]. Mais elle est surtout cette chanteuse qui nous étonne avec le caractère intemporel de son œuvre.

Mis à part les talents de chanteuse et d’interprète qu’on lui connaît, la profondeur des textes qu’elle choisit de chanterretient l’attention et explique qu’elle aitune legacy aussi solide.Néanmoins, en Haïti, comme dans plusieurs pays du monde, nous faisons face à un problème de transmission intergénérationnelle. Cet état de fait explique que certains jeunes ne la connaissent pas ou la connaissent très peu. Pour cela il est opportun de faire ce retour sur l’œuvrede Carole Demesmin et aussi sur celles d’artistes de sa génération non seulement à des fins pédagogiques, mais aussi pour le plaisir d’apprécier de la bonne musique.

La chanson qui a révélé Carole au grand public est Mawoule (Maroulé avec l’ancienne orthographe) en l’année 1978. Étant donné que seul son prénom figurait sur la pochette du single intitulé Maroulé, le public l’a baptisée Carole Maroulé. L’affublant ainsi du nom de son single qui est devenu un tube et jusqu’à présent, on la surnomme Maroulé.   

Le texte cette chanson estde Jean-Claude Martineau, alias Koralen. Carole y raconte les péripéties d’un conducteur de bœufs qu’on appelle Mawoule en créole haïtien. Dans l’histoire, il est déjà nuit quand le Mawoule passe, éclairé seulement par la lune qui brille très fort. Ce contraste entre l’obscurité qui caractérise la nuit et la lune qui brille très fort peut être interprété commel’espoir qui doit être conservé malgré la peur et le doute. Le cheminement du Mawoule est un parcours qui démontre son courage et sa résilience face tous les obstaclesquise dressent sur sonchemin. C’est un texte allégorique dont le second degré d’interprétation est très important. Le Mawoule symbolise le peuple haïtien etle comportement qu’il doit avoirface aux obstacles qui sont les siens. Le paysage qui est décrit dans le texte ; le brouillard qui monte, le frisé qui tchipe (« Genyonbwouya kape monte […] tanzantanyonfrizetchuipe ») ne sont pas anodins non plus, le frisé qui est un oiseau nocturne, qu’on appelle effraie en français standard, symbolise fort probablement les tontons macoutes[2].Dans une interview, Carole a rapporté qu’à la base, le texte que Koralen lui a proposé était très révolutionnaire et trop incisif pour qu’elle aille la chanter en Haïti, sous la dictature. Elle a conseillé àKoralen de le modifier et ça a donné Mawoulé.  

Il faut dire aussi que dans les années 1960, en Haïti, le mot Mawoule était aussi utilisé pour désigner les individus gauches et marginaux.Cela a-t-il joué dans le choix de Koralend’intituler son texte Mawoule? La question est pertinente à notre sens.

Mawoule est aussi le nom du premier album de Carole sur lequel figure le tube Mawoule et aussi une autre chanson tube, intituléeLumane Casimir qui raconte de façon romanesque l’histoirede la chanteuse Lumane  Casimir[3]qui a marqué la scène musicale haïtienne des années 1940. Le texte de ladite chanson est lui aussi né de la plume de Koralen.Dans la vidéo de la chanson, on peut apprécier les talents d’interprète de Carole. En d’autres termes elle est conteuse aussi à sa manière car elle arrive, de façon remarquable, à faire en sorte que lespectateur vivece qu’elle chante. Grâce à elle aussi, la chanteuse Lumane Casimir estconnue de plusieurs générations qui luiont succédé. Un peu comme Jennifer Lopez avec le film Selena.

Nous n’avons nullement la prétention de faire un travail exhaustif. Dans les lignes qui vont suivre, nous ne ferons qu’analyser quelques autres chansons du répertoire de Carole Demesmin en vue de comprendre dans la mesure de notre possible, sa legacy.

Sou chimenpèdi tan est une autre chanson du répertoire de Carole écrite de la main de Koralen. Le texte parle des tergiversations puériles de leaders politiques qui s’attardent sur leur querelles au lieu de résoudre les vrais problèmes auxquels ils font face. Dans le refrain il est dit que savoir pourquoi on marche et où on va est nécessaire pour se rapprocher de notre destination.  

Cette chanson à l’instar de Mawoule est intemporelle car si d’un côté le peuple doit rester résilient, insoumis, surmonter des obstacles et rester constant dans la lutte, de l’autre, il y aura toujours des gens, soi-disant leaders qui vont se complaire dans la tergiversation. Elle figure sur l’album Men Rara, deuxième opus de Carole.

Plusieurs années plus tard, Carole proposa l’album « Bèl Kongo » avec un concept : Conga, Haïti, Africa. Conga pour l’Amérique ibérique[4],Haïti pour notre pays et Africa pour l’Afrique. Rythmiquement parlant, tous ces espaces géographiques sont représentés dans l’album. Kongoba et Missi Awezansont de très bons exemples de cela et les tubes de l’album. Kongoba est une salsa où Carole parle de la Reine Congo, une divinité vénérée dans le vaudou haïtien et dans les vaudous d’autres peuples afro-descendants d’Amérique. Missi Awezan est un fragment de la prière Djò[5] qui est une litanie du vaudou haïtien qu’on retrouve aussi dans le vaudou de la Louisiane. Elle sert à saluer les principaux esprits (lwas) de ce culte.Sur l’album Bèl Congo,Carole a proposé une nouvelle version de Missi Awezan, avec un arrangement différent, tout en conservant les paroles d’origine qui sont en langues africaines (qu’on appelle langay ou langaj dans le vaudou) et en langue créole.

En somme on peut dire que l’album Bèl Congo de Carole Demesmin explore l’élément africain des cultures de l’Amérique latinebien avant que le concept Afro latinidad[6] ne fût agité dans le débat public tant aux États-Unis dans les communautés latines qu’en Amérique ibérique(dans les années 2010) car l’album Bèl Congo est sorti en 1999.On peut dire que là, Carole était bien en avance sur son temps.

À travers ces quelques musiques emblématiques de la carrière de la chanteuse Carole Demesmin, nous pouvons voir que son art est arrivé à toucher des générations qui l’ont précédées et les plus jeunes aussi.

Nous vous encourageons, chers lecteurset lectrices à vous (re)plonger dans son œuvre. Il y a bien des choses à y découvrir. Une chose est sûre, la chanteuse Carole Demesmin transcende le temps. 

 

Samuel E. DUCLOSEL


[1] https://m.imdb.com/title/tt1513077/ Carole Demesmin a incarné un des personnages principauxdu film haïtiano-américain « Life outside of pearl .

[2] Les miliciens de l’époque duvalierienne étaient surnommés totons macoutes par analogie avec un homme de l’imaginaire haïtien qui emporte les enfants qui ne veulent pas dormir dans sonsac. Le tonton macoute opère la nuit, le frisé ou effraie est un oiseau nocturne donc c’est très fort probablement une référence au tonton macoute.

[3] https://www.haitiinter.com/la-legende-de-lumane-casimir/

[4]  Brésil et pays de l’Amérique qui parlent espagnol. La conga est un tambour très utilisée dans les musiques desdits pays.

[5] spellmaker.com

http://www.spellmaker.com » ...PDF

THE PRIYÈ GINEN – Spellmaker

 [6]  UnidosUS

https://www.unidosus.org › Blog

 

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

1 COMMENTAIRES