Le Street art : d’une démarche contestataire à l’embellissement du paysage urbain

« Le street art s’inscrit dans une dynamique qui l’oppose à la lecture officielle conformiste du terreau artistique au contour immobile ».

Tout art est choc, contestation, refus, rupture de ban, clash du présent, martèlement contre la bienséance bien-pensante, contre l’ordre établi. Tout art, dans son éclosion, suscite rejet, répulsion, aucunement dans une approche discursive, interrogative de l’œuvre, mais dans la dynamique du refus, de la peur, de la bousculade des « codes artistiques pré-établis », du viol du sacro-saint ou du confort de la peinture ou de la littérature « officielle ». Ainsi le nouveau devient-il répulsif. Cette attitude ici mise à nue n’épouse moins les principes qui définissent l’œuvre artistique qu’elle s’attache à s’assurer de l’officialité des copains dont les excursions nouvelles sont considérées comme une forme d’assiègement de la citadelle artistique conformiste.

En témoigne la démarche inquisitoire des tenants de la peinture classique française appliquée aux peintres de la nouvelle école, les futurs impressionnistes « Monet, Manet, Cézanne, Dégas ». L’onde de choc du « Déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet a constitué l’un des témoins de l’acharnement des peintres « officiels » et de la bourgeoisie française de l’époque face à l’excursion impressionniste.

« La brutalité du style ( de la toile “Le Déjeuner sur l’herbe”) et surtout la juxtaposition d’une femme nue “ordinaire”, regardant le public, et de deux hommes tout habillés, ont suscité un scandale autant esthétique que moral et des critiques acerbes lorsque l’œuvre a été proposée au Salon. Manet bouscule en effet le bon goût des bourgeois qui visitent les expositions et tue d’une certaine manière la peinture mythologique » [1].

Hernani, Les Fleurs du mal, Les Chants du Maldoror, et plus près de nous, « Dialogues de mes lampes » de Saint-Aude ou « Idem » de Davertige ont vécu la cabale de la critique bon-enfant / ou la « good-natured critic ».

 

Le Street art ou Art Urbain

Il résulte alors toute transgression du « canon établi », toute réappropriation de l’utilité commerciale, toute évacuation des lieux historiquement clos ( salles de vernissage, d’exposition) et rattaché au domaine artistique sont vécus comme une forme de déviance, de marginalité dont toute dynamique artistique révolutionnaire a affronté et surmonté à ses débuts. Ainsi parait - elle la situation dont le « Street Art » a du faire face dans sa phase génétique. Un début lourd d’obstacles, d’incompréhensions, de solitude. Le Street Art a vécu sa part de difficultés - d’un art à la marge ( à côté)- il a pu au prix d’immenses efforts s’imposer finalement à l’appréciation du public. Attitude rendue possible grâce au changement de la perception de l’objet d’art dans la mentalité collective. Le paysage urbain où cette forme artistique prend forme et s’exprime, se trouve revêtue de nouvelles fonctionnalités. Les pans de murs, les coins de rues à grande visibilité, les places publiques, kiosques, abris bus, etc. ne sont plus vus comme des moyens de délimitation de propriétés publiques ou privées, des milieux de récréation, de divertissement mais comme des espaces d’expression artistiques multiples ( graffitis, tags, etc). Le public s’approprie des nouvelles fonctionnalités élaborées autour de ces espaces ( autrefois lieux d’entreposage de déchets, notamment) et les reconnait ipso facto comme des lieux où la créativité se donne comme forme d’expression nouvelle.

Le Street Art ou « art urbain » se définit comme un mouvement artistique, « un mode d’expression artistique » [2]. S’affirmant dans le monde occidental ( USA et Europe occidentale) à la fin du XXème siècle, le Street Art réunit toutes les formes d’expression d’art exécutées dans l’espace public et regroupe les techniques « telles le graffiti, la peinture murale, le trompe-l’œil, le perchoir, la mosaïque, le sticker, etc ».

Si le Street Art s’est réapproprié l’espace urbain, d’où il est apparu ;  il a été à l’origine non reconnu, taxé d’illégal, de subversif, et évoluant dans l’éphémère puisque son objet - dans ses créations- était de questionner, explorer, marquer, dégrader, détourner le contexte de créativité.

Le street art s’inscrit dans une dynamique qui l’oppose à la lecture officielle conformiste du terreau artistique au contour immobile ( art, beaux-arts, expression artistique). À ses débuts, il s’est exprimé au moyen du graffiti l’apparentant à l’art pariétal ( par exemple les roches des grottes du Dondon dans le nord d’Haïti) et les tags exécutés sur les murs dans les revendications politiques post-duvaliéristes (1986). L’irruption du street art en Haïti ( graffitis, tags ) peut-être mis en relation à l’apparition du même phénomène aux USA ( 1942 avec Kilroy) et en Mai 1968 ( avec les revendications populaires en France) [3].

Comme nous l’avons souligné ci-dessus, le Street Art, en dépit de son aspect marginal à ses débuts ( choix de support en pleine rue), impossibilité de l’acquisition de l’œuvre ( au marché de l’art), a reussi au tournant des années 2000 à s’imposer, à s’institutionnaliser.  On le retrouve maintenant dans les galeries d’art, les structures muséales, les salles de ventes ou sur des façades monumentales. Des études ont été même commandées par le ministère de la culture en France en 2018. [4]

 

Autour du Street Art en Haïti :  Quelles perspectives

Parti des tags aux revendications politiciennes, le Street Art en Haïti n’a cessé de migrer vers de nouvelles techniques d’expression :  telles le graffiti, la peinture murale, les fresques, etc. La transition politique de la société haïtienne en crise depuis quatre décennies assurent que les tags politiques demeureront autant que celle-ci n’envisage aucune rupture asymétrique. Dans la Capitale et les principales villes de province ( Cap-Haitien, Petit-Goave, Léogane, etc) de la République, le Street Art, en s’appropriant des pans de murs et autres collectifs comme support de l’expression artistique renouvellera l’approche esthétique du public. Le Street Art participe du coup, dans sa fonction utilitariste à l’embellissement du paysage urbain local. Une réappropriation du milieu afin de le sortir de l’underground et l’intégrer dans de nouvelles fonctionnalités collectives qui interrogent, subliment, marquent et explorent.

 

 

James Stanley Jean-Simon

E-mail :  jeansimonjames@gmail.com

President du C.E.L.A.H ( Centre d’Études Littéraires et Artistiques Haïtiennes)

 

Notes : 

1) Le dejeuner sur l’herbe / wikipedia

 https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Le_D%C3%A9jeuner_sur_l%27herbe#cite_ref-5

2) Sur le Street art ou l’Art urbain :

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Art_urbain#cite_ref-15

3) idem

4) Le M.U.R, Étude nationale sur l’art urbain, 2 décembre 2019 (lire en ligne [archive])

https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Documentation-scientifique-et-technique/Etude-nationale-sur-l-art-urbain

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