Le maestro du compas qui a fait danser des générations entières, André (Dadou ) Pasquet est mort. Né dans une famille de musiciens, il a commencé à jouer à 13 ans au côté d’artistes de renom. Son groupe, Magnum Band, aurait célébré 50 ans en 2026, un héritage musical qui continue de résonner dans nos cœurs.
Perfectionniste et travailleur acharné, Dadou Pasquet ne se contentait pas d'être talentueux, il voulait plus. Il souhaitait que la musique haïtienne soit reconnue, qu'elle soit célébrée. Il souhaitait trouver sa voie, il rompt avec le mythique Tabou Combo dont Il fut membre fondateur de la version new yorkaise, après avoir obtenu un disque d'or en 1975. C’est un exploit qui reste gravé dans l'histoire de la musique haïtienne, égalé que 50 ans plus tard par Joé Dwèt Filé. Dadou est également le musicien haïtien dont Santana a interprété sa musique « Mabouya » composée avec Tabou Combo, qu’il rebaptisa « Foo Foo ».
Ce chanteur-guitariste était un patriote, un homme qui croyait en Haïti, en sa culture, en sa musique. Sa participation aux Jeux olympiques d'Atlanta en 1996 fut un moment grandiose, dit-il, une occasion de montrer au monde entier la richesse et la beauté de la culture haïtienne. Mais il a été confronté à l'indifférence, au manque d'aide gouvernementale et de couverture médiatique. Aucun journaliste, aucun photographe n'était présent pour immortaliser cet exploit, laissant Dadou amer et déçu.
DADOU PASQUET et le boycott
L'épisode des Chouchou du Nord-Ouest, en 2000, un groupe de Port-de-Paix, a été le point de rupture avec le Haitian Music Industry (HMI). Dadou a dénoncé l'attitude discriminatoire d'un organisateur de bal qui refusait de les inclure dans une tournée, prétextant que leur look provençal ne correspondait pas au critère du moment. Cette prise de position courageuse lui a valu d'être banni du plus grand festival international haïtien de Miami, un boycott orchestré par une oligarchie de producteurs qui contrôlent le marché de la musique haïtienne.
Ces producteurs, qui ont des alliances avec des animateurs de radio, des managers de groupe, des analystes et des producteurs antillais, craignent de perdre leur emprise sur la musique haïtienne. Ils ont vu en Dadou Pasquet un adversaire, un homme qui osait remettre en question leur pouvoir et leur influence. Pardonnons leur car ils n’avaient pas la hauteur pour apprécier ce géant de la musique Compas. J’en profite en même temps de les féliciter pour leur festival.
L'effet domino de ce boycott a été dévastateur : la non-exposition du groupe l'a éloigné du marché des jeunes, les prestations n'ont plus réuni les grandes foules, et les concerts ne sont plus devenus un succès financier comme à l'époque "Paka Pala" des années 80. Les promoteurs, qui autrefois se bousculaient pour présenter le groupe, deviennent désormais rares. J’en profite pour rendre hommage à Magguy Rigaud, femme d’affaires aguerrie et inconditionnelle du Magnum, qui a gardé le groupe dans les affiches à Port-au-Prince.
En 2016, pour les quarante ans de Magnum, seulement deux prestations ont eu lieu en Haïti, tandis que la tournée antillaise a offert une douzaine de mégas concerts de juin à août. Cette différence de régime et de traitement entre les Haïtiens et les cousins des Antilles pour la même icône, Dadou, est frappante.
DADOU PASQUET face à l’absence de politique étatique
Malgré les efforts pour attirer l'attention des autorités, rien n'a changé. Moi, votre serviteur, j’avais suggéré de répertorier les solos guitares de Dadou et de créer un programme d'enseignement de la guitare dans les écoles secondaires. Cet avant-projet a été présenté à un haut fonctionnaire influent du ministère de la Culture, mais aucune suite n'a été donnée.
Il est clair que les dirigeants haïtiens, sauf de rares exceptions, n'ont aucune compétence en matière de développement de la Culture et sont indifférents à nos richesses culturelles qu'elles soient humaines ou patrimoniales. Les musiciens ne sont que rarement élevés à leur dimension de stars iconiques, et leurs œuvres ne sont pas protégées adéquatement. La société haïtienne est un trou noir pour ses étoiles, qui brillent ailleurs mais sont ignorées chez elles.
Toutefois, les dirigeants, ne l’oublions pas, sont des produits de la société. Ainsi l'éducation et la socialisation jouent un rôle crucial dans la formation de l'attitude des Haïtiens envers leurs icônes de la musique.
L'absence d'éducation artistique et culturelle
En Haïti, l'éducation artistique et culturelle est souvent négligée ou inexistante dans les écoles. Les enfants ne sont pas initiés aux arts de la scène, à la musique ou à la danse de manière systématique et structurée dans le curriculum. Cela signifie que les jeunes Haïtiens ne développent pas les compétences et les connaissances nécessaires pour apprécier et respecter les artistes et leurs œuvres à leur juste valeur.
La culture du spectacle et de la célébrité
La culture du spectacle et de la célébrité est souvent réduite à la télévision et aux réseaux sociaux, où l'on se concentre sur la personnalité et l'image plutôt que sur le travail et l'art. Cela crée une perception déformée de ce que signifie être un artiste ou un créateur, et peut conduire à une attitude de dénigrement et de critique excessive envers les artistes. Finalement, la superstar est adulée pour son côté glamour et bling bling et est vite oublié ou dénigré au moindre signe de défaillance. Alors, nous sommes des gens qui courront au secours de la réussite, pas de vrais fans.
Le rôle de la famille et de la communauté
Enfin, la famille et la communauté jouent un rôle important dans la formation de l'attitude des Haïtiens envers les artistes. Si les parents et les aînés ne valorisent pas l'art et la culture, il est peu probable que les jeunes développent une attitude positive envers les artistes et leurs œuvres. Les gens de ma génération maintiennent un discours favorable envers Dadou, mais combien paieront pour aller à ses concerts. Je fus disquaire pendant près de vingt ans, les disques de Magnum Band n’étaient pas un best-seller auprès de cette clientèle naturelle.
En résumé, l'absence d'éducation artistique et culturelle, le manque de modèles et de références, la culture du spectacle et de la célébrité, ainsi que le rôle de la famille et de la communauté, contribuent tous à expliquer pourquoi les Haïtiens manifestent peu de respect envers leurs icônes de la musique.
Que faire ?
Il est important de mettre en place des programmes d'éducation artistique et culturelle dans les écoles, de promouvoir les artistes et les créateurs haïtiens, et de créer des espaces de dialogue et de réflexion sur l'importance de l'art et de la culture dans la société haïtienne. Il est également important de valoriser l'effort et la créativité, et de promouvoir une attitude de respect et d'appréciation envers les artistes et leurs œuvres. Il existe plusieurs cadres théoriques qui corroborent l'importance de l'éducation artistique et culturelle dans la formation de l'attitude des Haïtiens envers leurs icônes de la musique.
Pierre Bourdieu, sociologue, dit que les structures sociales influencent les comportements individuels, et l'éducation artistique et culturelle peut jouer un rôle crucial dans la formation de l'habitus, c'est-à-dire l'ensemble des dispositions durables acquises par la socialisation. Et, la théorie de la structuration d'Anthony Giddens, lui, propose une approche qui tente de réconcilier la structure et l'action, et suggère que les individus participent activement à la reproduction et à la transformation des structures sociales à travers leurs interactions.
Ces théories sociologiques soulignent l'importance de prendre en compte les facteurs sociaux et culturels dans la compréhension des comportements individuels et collectifs, et suggèrent que l'éducation artistique et culturelle peut jouer un rôle crucial dans la formation de l'attitude des Haïtiens envers leurs icônes de la musique. La reconnaissance de la richesse culturelle haïtienne et la promotion de la musique traditionnelle pourraient renforcer la fierté nationale et encourager les jeunes à explorer et à apprécier leur patrimoine musical. La valorisation de la diversité des expressions musicales haïtiennes, telles que le rara, le vodou, le twoubadou et le kompa, pourrait contribuer à une meilleure compréhension et appréciation de la richesse culturelle du pays. En somme, la perception des musiciens en Haïti devrait évoluer vers une reconnaissance accrue de leur importance dans la société, ainsi qu'une appréciation plus profonde de la musique comme outil de développement personnel et collectif.
En terminant, un hommage particulier à une femme spéciale cette héroïne Evelyne Pasquet l’épouse de Dadou Pasquet. Également, mes sincères condoléances à Elijah, Abdul Kahnik et Dadève Pasquet, ses enfants.
Aly Acacia
