Les ruelles portent en elles des secrets que nous autres pèlerins avons bien du mal à garder enfouis, loin des yeux et des sifflements, en passant d’un trottoir à un autre. Ainsi, pour dire que les murs n’ont pas seulement des oreilles : le chuchotement y devient plus qu’un son subtil, presque sacré. Ces endroits, souvent vus d’un œil flou, sont pourtant la source de bien des formes d’art et de cultures populaires. Ils deviennent même, pour certains, un lieu de culte, de rassemblement et de découverte. Le konpa ne fait pas exception. Il a puisé ses premières notes d’une rue à l’autre, presque dans une même perspective. Voilà déjà soixante-dix (70) ans. Une longue traversée pour cette perle musicale haïtienne. De Nemours Jean-Baptiste, initiateur du Konpa, aux groupes actuels comme Kaï, l’histoire de ce genre trace une continuité vivante. Aujourd’hui, Gaëlle et Clifford Jasmin prolongent cette empreinte à travers la danse : leurs corps deviennent les instruments d’une mémoire qui se réinvente, reliant la ferveur des origines à la grâce du présent. Il se danse sous les étoiles, à l’ombre des réverbères, et parfois encore, une coupe de champagne à la main.
Cet instant de convivialité se partage en solo, en groupe, mais le corps à corps fait vibrer encore plus la cadence. Et c’est ce souffle enchanteur, cette passion émerveillée qui a mené ce duo, en 2011, à porter ce flambeau plus loin que nos murs. Ils se sont dit que cette énergie saine, cultivée dans ces rondes intenses et confessionnelles, méritait d’être transmise et promue à un plus large public, de la même façon que d’autres voies d’expression. Depuis, ils trimballent avec eux ce tempo partout où ils passent, comme de véritables Konpassadeurs[1] . D’une oreille à une autre, d’un pas à l’autre, le konpa se danse à présent presque partout. Ce secret, échappé des ruelles, respire désormais à ciel ouvert, et des épris·es comme eux lui ont donné le souffle et la pureté qu’il cherchait au fil des lunes.
À Jacmel, cette harmonie s’enflamme comme une étincelle sous le crépuscule fumant des soirées privées et publiques. Malgré leur nombre restreint, ces moments restent gravés au creux de nos souvenirs multiples. L’envie est toujours là, timide, mais elle valse sans s’arrêter. Jusqu’à ce que le projet Konpa Dance de Gaëlle et Clifford Jasmin voie le jour sous une nouvelle lune. C’est une modeste réponse, une voie pour accompagner les amateurs, les professionnels et les curieux désireux de mieux embrasser cet art. Mais aussi une occasion de voir éclore une nouvelle vague de Konpassadeurs et Konpassadricess. Une initiative qui projette son éclat au-delà des horizons de cette cité emblématique. Cependant, le pas d’élan prend place dans ses avenues.
Ce programme a pris forme lors d’une semaine de formation intense, au mois de juillet, avec une vingtaine de jeunes. Les témoignages furent exceptionnels : une chance que plus d’un ne voulait rater. Certains sont même venus du Sud pour y participer. Tous attendaient avec impatience de goûter à ce délice. Les déclarations exaltées des organisateurs, lors de la cérémonie de remise des certificats le dimanche 10 août dernier, en ont été la preuve : Konpa Dance n’est pas seulement un projet, mais un patrimoine en devenir. À les écouter, on sentait l’euphonie qui nous invitait à monter sur la piste. Ce n’était peut-être pas le bon moment — mais une chose est sûre : nous attendons déjà la prochaine invitation de Konpa Dance.
Wesly SAINTI
Wesly SAINTIL, Connu sous le nom d’Intellect’Art, est étudiant en Droit à l’École de Droit et des Sciences Économiques de Jacmel (EDSEJ). Il est également nouvelliste, et un fervent passionné des lettres et des arts. Par ailleurs, il enseigne l’étude de texte et l’expression écrite, transmettant ainsi sa passion pour la langue et la littérature. Wesly a été également coordonnateur culturel local de la première édition du festival des îles qui marchent et actuel président du comité de Livres en Liberté à Jacmel, où il œuvre pour la promotion de la lecture et de la culture dans sa communauté.
[1] Ce terme désigne celles et ceux qui dansent, promeuvent et transmettent le Konpa. Il puise ses racines à Jacmel et aurait été évoqué pour la première fois, entre 2018 et 2019, par un danseur local nommé Clifford¹ — à distinguer du couple de danseurs professionnels mentionné plus haut. Depuis, ce néologisme s’est diffusé comme une bannière identitaire au sein de la communauté Konpa.