La dynamique qu’a connue le Compas direct depuis sa fondation en 1955 fait état de débats sur sa possible rupture aux tendances traditionnelles ou à un retour aux sources tout en tenant compte de l’éclectisme dominant (Lacoste ,2011). Aussi plusieurs origines s’associent-elles au Compas direct. Les points de vue les plus courants évoquent des origines folkloriques à savoir qu’il est un dérivé de la musique que jouaient des esclaves des champs. Ce qui aurait porté à assimiler le Compas direct à la méringue lente dans la perspective de Fouchard (1988). Il y a aussi lieu de rappeler la relation du Compas direct au «pouse bourèt ou rale bourèt» (Garnier, 2019 ) . D’autres approches mettent accent sur le caractère éclectique du Compas direct en tenant compte des influences diverses qui l’ont marqué.Ainsi les influences en question font attribuer le Compas direct à une musique urbaine aussi bien que le Hip Hop , le R & B, le Techno, le rock.Le Compas direct est issu avant tout de la matrice du genre «Grenn siwèl» qu’il ne parvienne pas à se dissocier de ce lien ombilical”.
En effet, le terme «Grenn siwèl» est aussi appliqué aux petits orchestres ruraux, appelés également bann gwenn siwèl ou plus simplement ti-bann”.La contribution des travailleurs braceros haïtiens revenus de Cuba a été considérable dans le développement du «Grenn Siwèl» en Haïti qui soit une variante du Troubadour. Il est défini comme une musique de rue des zones rurales d’Haïti .C’est donc ce rythme qui a inspiré le maestro Nemours Jean Baptiste lors d’une visite à Saut d’Eau après avoir assisté la prestation d’un groupe musical dans un cadre « anba tonèl». Il s’agissait des notes exécutées d’une guitare simple, d’un tambour, de 2 malaca (tcha tcha) et d’une flute.Il s’agit dès lors de notes simples articulées au tempo 1-2 , au moyen des instruments tels l’accordéon, le saxophone, une guitare accoustique, des cordes,des tambours et autres instruments de percussion.
Le compas aussi bien que le «grenn siwèl”» ont évolué sous des formes élaborées à portée de musique savante.Ce qui a valu un ancrage et la réception du compas direct dans tous les milieux sociaux. Face à ce constat, nous nous demandons dans quelle mesure les populations des zones rurales arrivent-elles à assimiler le compas direct comme musique urbaine? Y a t il lieu de considérer l’abandon du «grenn siwèl» au profit du compas direct proprement dit? Ce questionnement peut nous renvoyer à une enquête de terrain auprès des populations concernées et les groupes musicaux en situation. Cependant nous ne nous limitons dans cet exercice qu’à des pistes de réflexion.
Nous nous rendons compte qu’il y a une bonne réception de la version de la musique du compas en «live» qui est souvent adaptée au «grenn siwèl» quand nous considérons le cadre des prestations des groupes dans les milieux des petites communautés lors des fêtes champêtres et la musique dansante en «live». C’est un genre à mi-chemin du troubadour avec une dominance du conga, de malaca, de nos jours le keyboard s'associe au son du saxophone pour assurer la même rythmique que le «grenn siwèl» . Il y a aussi des solos simples de la guitare ou du piano qui s’accordent et animent dans le même sens.
Dans notre exposé, nous voudrions indiquer l’expérience du groupe “Strings” et du mouvement Haïti Troubadour des années 2000 avec ses ténors comme Fabrice Rouzier , Kéké Belizaire et Eric Charles. De nouveaux groupes utilisent des instruments synthétiques et produisent un grand nombre d'enregistrements numériques. Donc le genre de musique «grenn siwèl» émergé dans les années 40 et 50, n'a jamais disparu d'Haïti.
Selons les sources consultées et rapportées dans la bibliographie finale: «l’essor considérable de ce genre revient aux ténors tels que Dòdòphe Legros, Anilus Cadet, Trio D'or (qui deviendra Trio des Jeunes et plus tard Jazz des Jeunes), suivi par Ti Paris, Trio Select (qui deviendra plus tard Coupé Cloué avec son rythme Konpa Manba), Etoile du Soir , Rodrigue Milien et Toto Necessité dans les années 60-70. Dans le cas de l’Etoile du Soir, on l’attribue le genre de néo-méringue». Les Mini jazz sont venus se démarquer de la tendance de Siwèl mais cet ntermède (1970-1980) n'a pas pourtant renversé la situation car très tot le groupe DP Express dans la version «L'Amiral » du groupe DP Express « (1979) a fait renaitre le rythme “grenn siwèl». Le Scorpio Fever a aussi marqué le pas dans le même sens dans “Sirop miel (1983). Il est un fait que le Compas direct comme musique urbaine s'est étendu en milieu rural grâce à son adaptation au «Grenn siwèl».
Le mouvement de la Nouvelle Génération de l’après 1985 est venu charrier le rythme “grenn siwèl” avec les groupes musicaux tels que Pirogue , Panik ,Trio Infernal etc. Puis le mouvement Haïti Troubadour du début des années 2000 continue dans la même lignée pour faire la promotion du troubadour sur les traces du groupe des 7 Vedettes des années 1980 et sa channson célèbre “deux chances”.
Nous vous invitons à consulter des discographies indiquées et les versions you tube de musique “en live”. Les échanges avec les anthropologues Frandy Jasmin et Juvigny Jacques nous ont été très utiles pour réaliser ce travail. Les groupes musicaux associés au genre de “grenn siwèl” en question recoupent diverses générations des années 1950-1960,1960-1970,1970-1980,1980-1990, 1990-2000.Nous citons en ce sens des groupes musicaux les plus remarquables avec des titres respectifs.Les groupes sont :Ensemble aux calebasses dans “2 pti piti kalbas”; l’Ensemble Coupé Cloué dans “Marie Jocelyne”; le groupe Lakol dans “Siwèl nan wèl ou”; Panick de Pétion Ville dans “Ki demon sa “; Mizik Mizik dans “Lè n ap fè lanmou”; Djakout Mizik dans “”amour éternel”; Mass Konpa dans “Nada” et “n ap monte lasous”; Orchestre Tropicana d’Haiti dans “rendez vous champetre”’. La liste n’est pas exhaustive si nous devons ajouter des animations en live de plusieurs groupes dont l’orchestre Septentrional, le Skah Shah en compagnie du maestro Richard Duroseau dans “Zanmi”, le D zine, Nu Look, le groupe Zile avec Anie Alerte entre autres. Mais nous nous gardons d’associer les groupes de Tabou Combo et de Magnum Band avec le “grenn siwèl” et nous laissons le soin à d’autres critiques d’apprécier ce dernier point.
Hancy PIERRE
Repères bibliographiques
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