Festi -mode au Tambour: la première braise

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Le public s’installe. Les chaises grincent, les conversations se dissipent. Puis, un premier battement de tambour. Net. Sec. Comme si l’on frappait au cœur même de la salle. Dès lors, tout s’est enchaîné : les voix, les corps, cette chaleur dense qui s’installe quand l’art décide de parler sans attendre qu’on l’invite.

En novembre prochain, le Festi Mode au Tambour lèvera ses couleurs et ses rythmes. Mais ce soir-là, Explore Art Fusion, invité par Cari Model Agency, ouvrait le bal. Pas un simple spectacle : un cri. Une offrande. Un poème debout qui refuse de plier les genoux.

Pas d’instruments sophistiqués. Pas de décors encombrants. Rien que l’essentiel : le tambour, les corps, et des voix capables de faire trembler les murs. Au centre, le feu. Feu ancien, feu neuf. Autour de lui, cette phrase, lancée comme une gifle :

“Alimèt ki te limen balèn ou yè pap ka limen l’ jodi an.”

(“L’allumette qui a allumé ta bougie hier ne pourra pas l’allumer aujourd’hui.”)

C’est une image simple et tranchante : la lumière d’hier ne suffit plus. L’allumette est morte, réduite en cendres. Il faut en allumer une autre. Dans la bouche des artistes, ces mots visaient un pays entier : assez de se nourrir de victoires passées, il est temps de forger celles qui n’existent pas encore.

Ce n’était pas qu’un théâtre. C’était un voyage dans le passé d’un peuple encore en quête de lui-même. Un peuple dont l’histoire tremble, encore et toujours, entre les mains fielleuses du colon.

Par moments, la salle se remplissait de “cris-miroirs” — des cris qui ricochent, reviennent, se plantent dans la poitrine. Des cris qui obligent à se regarder en face, même si ça brûle. Même si ça défigure.

Et puis, le feu, encore. Sévère Mickha Mackaël, metteur en scène et acteur, joue avec lui comme avec un vieil ami dangereux. Deux baguettes enflammées dans les mains, il les fait danser, jusqu’à éteindre l’une d’elles dans sa bouche. La salle explose. Applaudissements, sifflets, stupeur.

Puis Desamours Davidson, dit “Légende”, surgit, armé de trois machettes. Un ballet de métal qui fend l’air et coupe le souffle.

Tout au long du spectacle, la voix de Nedjina Victor ne se contentait pas d’accompagner : elle portait les autres. Profonde, mouvante, elle traversait la salle comme une vague qui enlace et soulève, vibrant jusque dans la poitrine du public, reliant scène et spectateurs dans un même souffle.

Et puis, Simon Bruce Wily. Avec lui, un cercueil. Personne ne s’attendait à ce qui suivit. Le bois s’ouvre, l’homme en surgit, mi-danse, mi-poème. Brut. Inattendu. Une image éclatante de renaissance.

Les applaudissements jaillissent, francs, nourris, comme pour dire : « Nous avons compris. »

Ce soir-là, la frontière entre disciplines artistiques s’est brouillée. Le théâtre s’est mêlé à la performance, à la poésie, au geste pur. Chaque artiste est venu avec ses propres mots, ses cicatrices, ses mouvements. Sous l’œil de Sévère Mickha Mackaël et de ses complices Wasly Noris, Jean Michel Joseph, Duvisien Emmanuel, Ridge Givens Desravines, Fanette Nehemie, Dely Stanley, Ilsain Retzney, Morisset Nercitha, Michel Vitanie, tout s’est fondu : un seul corps, un seul souffle.

Dans les coulisses comme sur scène, les membres d’Explore Art Fusion gardaient sur la peau et dans les yeux l’empreinte de cette soirée. Certains parlaient d’une « danse d’émotions », d’autres d’un simple « waw » impuissant à contenir l’ouragan qui les avait traversés. Ils décrivaient un public suspendu à chaque geste, affamé de beauté et de vérité, tandis qu’eux, cuisiniers de l’âme, servaient chaque note et chaque mouvement comme un mets rare, laissant derrière eux une faim plus féroce encore. Même la pluie et le tonnerre n’avaient pas pu freiner cette danse entre paroles dites et chantées, entre gestes enracinés et papillons porteurs de liberté. Pour certains, ce fut une renaissance après des années de silence ; pour d’autres, un moment de grâce où tout un peuple retrouvait, le temps d’une soirée, son unité, sa beauté, et sa voix.

Ce soir-là n’était qu’une esquisse. Novembre promet un retour plus profond, plus incandescent. Entre tradition et modernité. Entre feu ancien et allumette neuve.

Eliphen JEAN

 

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