Godson Moulite est poète et journaliste haïtien dont l’œuvre poétique et journalistique reflète les réalités socioculturelles complexes de son pays. Son recueil de poèmes Rien qu’une bouffée de l’oubli témoigne de sa plume vibrante et engagée, invitant le lecteur à une exploration à la fois personnelle et collective de la mémoire, de l’oubli et des luttes sociales en Haïti. Résidant à Port-au-Prince. En plus de son succès en tant que journaliste littéraire, Godson Moulite est également un fervent défenseur de la diversité dans la littérature. Il utilise sa plateforme Koz’art la pour promouvoir des voix sous-représentées et encourager un dialogue plus inclusif dans le monde littéraire. Il est également une figure active dans les milieux journalistiques et culturels de son pays, notamment à travers ses contributions au quotidien Le NationalÂ
Le National : Le titre Rien qu’une bouffée de l’oubli est à la fois poétique et mystérieux. Comment avez-vous choisi ce titre ?
Godson Moulite : Le titre est une tentative de capturer une sensation fugace, mais puissante. L’idée de « bouffée » renvoie à l’immédiateté de la vie, une respiration, un souffle d’air, et l’oubli, lui, est ce processus continu et inévitable qui efface des éléments de notre mémoire. En Haïti, où l’histoire est marquée par des crises successives, il me semble que l’oubli, même s’il peut être douloureux, est aussi un mécanisme de survie. Il y a une beauté dans cette idée de souffler et d’oublier, mais une tension aussi, car l’oubli peut parfois devenir un fardeau, une perte irrémédiable.
Le National : Quelles en sont les implications pour le contenu du recueil et les thèmes que vous explorez à travers vos poèmes ?
Godson Moulite : Le titre reflète l’essence même du recueil : un moment où les souvenirs, parfois sombres, se dissipent, mais où l’on reste aussi suspendu à ce qui pourrait être oublié et ce qui doit être retenu. Ce livre est un dialogue entre mémoire et oubli, entre ce que nous souhaitons effacer et ce que nous devons accepter pour avancer.
Le National : L’oubli semble être une notion centrale dans ce recueil. Le terme « bouffée » suggère-t-il un moment éphémère, un souffle ?
Godson Moulite : Oui, « bouffée » suggère un instant fugace, une sensation qui traverse le corps et l’esprit, et qui, tout aussi vite, s’échappe. C’est une métaphore du passage du temps, mais aussi de la rapidité avec laquelle nous tentons de nous défaire de certains fardeaux, même si ces fardeaux restent en nous. C’est une respiration qui purifie, mais qui laisse aussi une trace.
Le National : Pourquoi associer cette notion d’oubli à une bouffée, à une respiration ? Est-ce une métaphore de la fugacité de l’existence et des événements dans le contexte haïtien ?
Godson Moulite : L’oubli et la respiration sont intimement liés. Chaque souffle que nous prenons peut être un moyen de nous libérer, de nous affranchir d’un poids. En Haïti, où l’on vit dans une constante tension entre passé et présent, respirer devient un acte essentiel, presque politique. Il est nécessaire d’oublier parfois pour pouvoir respirer, avancer, mais aussi pour survivre. La fugacité est au cœur de ce processus : tout s’efface, et pourtant, quelque chose reste, quelque chose persiste.
Le National : Vous évoquez fréquemment des thèmes liés à l’oubli et à la mémoire. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce lien entre mémoire personnelle et mémoire collective dans vos poèmes ?
Godson Moulite : Dans mes poèmes, la mémoire personnelle se mêle à la mémoire collective. En Haïti, la mémoire est fragmentée : il y a des événements, des tragédies, des luttes qui restent ancrés dans les consciences individuelles et collectives. L’oubli individuel peut être un refuge, mais l’oubli collectif est un danger, car il efface les luttes passées, les erreurs à ne pas répéter. Mon écriture essaie de réconcilier ces deux mémoires, parfois opposées, mais toujours liées par la souffrance et l’espoir.
Le National : En Haïti, où les blessures du passé restent présentes, comment percevez-vous le rôle de la mémoire dans la société actuelle ?
Godson Moulite : La mémoire joue un rôle crucial en Haïti, mais elle est souvent douloureuse et non résolue. Chaque génération doit porter les cicatrices de la précédente, qu’il s’agisse des blessures de l’histoire politique ou des traumatismes sociaux. Mais cette mémoire peut aussi être libératrice, car elle nous permet de nous ancrer dans notre identité et de reconstruire, malgré l’oubli qui s’installe parfois.
Le National : L’oubli semble parfois être un refuge, une forme de protection, mais aussi un processus de résistance face à une souffrance permanente. Dans vos poèmes, cette dynamique d’oubli est-elle une forme de catharsis ou un signe de résilience ?
Godson Moulite : C’est un peu des deux. L’oubli est cathartique dans le sens où il permet de se détacher des douleurs, mais il est aussi un acte de résilience, car il permet de continuer à avancer, même si l’on porte toujours en soi les traces de ce qu’on a voulu effacer. C’est une sorte de mécanisme de défense, mais aussi une nécessité pour survivre face à la violence et à la souffrance constantes.
Le National : Quel est, selon vous, l’impact de l’oubli dans la société haïtienne contemporaine ?
Godson Moulite : L’oubli peut être destructeur, car il efface des leçons précieuses, des luttes qui n’ont pas été menées à terme. En Haïti, il y a une tendance à oublier les erreurs du passé, ce qui empêche toute véritable réconciliation et tout progrès durable. Cependant, l’oubli peut aussi être une forme de protection face à une douleur trop profonde pour être affrontée en permanence.
Le National : Le recueil semble aussi aborder des questions sociales, politiques et humaines d’une manière subtile, mais profonde. Quelle place accordez-vous à l’engagement social dans votre poésie ?
Godson Moulite : L’engagement est au cœur de ma poésie. Je crois que la poésie a le pouvoir de toucher les âmes, de faire réfléchir sur la condition humaine, mais aussi de susciter un changement. En Haïti, la poésie est souvent un moyen d’exprimer ce que la réalité quotidienne ne laisse pas de place à dire : les luttes sociales, les injustices, mais aussi la beauté de la résistance. Mon recueil ne se veut pas simplement une réflexion sur l’oubli, mais aussi un appel à la conscience sociale et à l’action.
Le National : Les poèmes sont-ils pour vous un moyen de dénoncer les injustices ou un espace de réflexion sur la condition humaine ?
Godson Moulite : Mes poèmes sont à la fois un espace de réflexion et un moyen de dénoncer les injustices. La poésie est une manière d’ouvrir une brèche dans le silence imposé par les oppressions sociales et politiques. Mais elle doit aussi offrir un espace pour que l’on puisse rêver, réfléchir, se libérer.
Le National : En tant qu’auteur et journaliste, vous êtes au cœur de l’actualité haïtienne. Comment vos expériences dans le journalisme influencent-elles votre vision poétique ?
Godson Moulite : Le journalisme m’a appris à observer de près la réalité, à capter l’essence des événements. Mais la poésie permet d’aller au-delà de l’instantanéité, de créer un lien plus profond avec les émotions humaines. La poésie me permet de traiter ces réalités avec plus de liberté et de nuance. Les deux sont complémentaires : le journalisme me permet de capturer la réalité immédiate, la poésie de l’interroger et de la réinventer.
Le National : Est-ce que la poésie peut offrir une perspective différente ou complémentaire à celle de l’information dans le journalisme ?
Godson Moulite : Absolument. Le journalisme rapporte des faits, tandis que la poésie peut les recontextualiser, les humaniser, et leur donner une dimension émotionnelle et existentielle. La poésie permet de transcender les faits pour comprendre ce qu’ils impliquent sur le plan humain. Elle ne cherche pas seulement à informer, mais à émouvoir, à provoquer une réflexion plus profonde.
Le National : Après ce recueil, quels sont vos projets littéraires à venir ? Envisagez-vous de continuer à explorer le même type de thématiques ou souhaitez-vous vous aventurer dans de nouveaux genres ou formes littéraires ?
Godson Moulite : Je pense que je vais continuer à explorer les mêmes thématiques, mais sous de nouvelles formes. Le processus créatif est en constante évolution, et j’aimerais expérimenter davantage avec la poésie visuelle ou même la narration plus longue. J’aimerais aussi approfondir les liens entre la poésie et le journalisme, peut-être en créant un projet qui explore de manière plus directe l’actualité haïtienne à travers une lentille poétique.
Le National : Que souhaiteriez-vous que votre œuvre laisse comme héritage ? Quels sont les principes ou idées que vous aimeriez que vos lecteurs emportent avec eux, non seulement à propos de votre recueil, mais aussi de la poésie en général ?
Godson Moulite : J’aimerais que mes lecteurs retiennent que la poésie est un moyen puissant de résistance et de réflexion, mais aussi d’émotion et de guérison. Dans un monde où l’on a tendance à oublier trop vite, j’espère que mes poèmes rappelleront l’importance de se souvenir, de ressentir et de rêver.
Propos recueillis par Dr Michèle Evelyne, France, Marseille Aix-en-Provence