Première édition de l’exposition annuelle intitulée: « Sans titre » par le Centre d’Études et de recherches en Arts Visuels et du Spectacle (CERAVS)

À l’occasion de la clôture de ses activités annuelles, du 30 décembre 2024 au 6 janvier 2025, le Centre d’Études et de Recherches en Arts Visuels et du Spectacle (CERAVS), présidé par l’historien d’art Sterlin Ulysse, a profité de lancer la première édition de l’exposition « Sans titre ».

Animée par le twoubadou Rapadou, cette exposition, en plus de permettre au public de contempler les œuvres des artistes dits contemporains qui occupent les cimaises du Centre, a mis en perspective les nouvelles créations de huit (8) artistes : Mario Benjamin, Celeur Jean Hérard, Jacques Frantz (Guyodo), Rose Margarette Milcé Bien-Aimé, Vanessa Saint-Val, Shneider Hillaire, David Thébaud et Grégory Vorbe. Contrairement à l’exposition « Expressions Tourmentées » qui expose des œuvres sans tenir compte des dates de leur création, « Sans titre » concerne uniquement la toute dernière création des artistes. Mais comme « Expressions Tourmentées », « Sans titre » n’hésite pas à faire dialoguer les œuvres des artistes confirmés et celles des artistes émergents qui exposent parfois pour la première fois. Sans être un parti pris, pour la première édition de cette exposition la peinture a été à l’honneur, avec des thématiques qui explorent trois univers : l’actualité, la spiritualité et l’imaginaire populaire. En dépit de l’insécurité et les difficultés de la circulation, le public a répondu en grand nombre.

Les dernières créations de Mario Benjamin nous montrent encore toute la virtualité du portrait. En se faisant le plus abstrait possible, celui-ci dépasse l’aspect psychologique et individuel ou social pour s’attaquer à la sociologique et la politique en substituant le mouvement, la couleur aux traits du visage. Son œuvre intitulée « Bwa Kale » met en évidence une instance chaotique, incompréhensive, où les lignes obliques, horizontales ou verticales s’entrecroisent dans un noir profond d’où gicle de part et d’autre le rouge qui se transforme coule sans fin et sans direction.  C’est là une manière de s’interroger sur la voie empruntée par la société et la confusion que cela engendre.

Quant à Celeur Jean Hérard, son langage est plus direct : les corps nus s’entassent, se tordent les membres brisés, fragmentés baignent dans une atmosphère où la nature semble absente, un lieu où le temps et l’espace paraissent une seule et même chose, un milieu hostile mené par les armes à feu, le sexe-roi et la violence de toute sorte. En outre, plus d’une dizaine de toiles de Celeur parodient la déclaration de campagne de Donald Trump voulant que des Haïtiens fraichement arrivés aux États-Unis via le programme humanitaire dit Biden se nourrissent des chiens et des chats des habitants de Springfield.  Dans plusieurs de ces toiles, Celeur n’hésite pas à s’inspirer de l’esthétique cubiste dans la superposition des corps des chiens et des chats pour créer des êtres hybrides (chiens et chats s’entremêlent), violents, parfois en pleine transformation. Ces œuvres dénoncent, accusent et prennent position face à une réalité indescriptible, telle l’hybridité et l’éternelle transformation des êtres représentés.

Le dernier travail de Frantz Jacque (Guyodo) explore la même thématique du chien et de chat en référence à la campagne dénigrante contre les Haïtiens aux États-Unis. Mais contrairement à Celeur, Guyodo se contente de représenter des chiens et des chats de manière individuelle. Guyodo nous a habitués à une iconographie animalière tout à fait imaginaire ; des êtres avec des tentacules, mi-hommes, mi-animaux. Son travail de paillettes attire l’attention à cause de la brillance du matériau fait souvent oublier le coté discursif, revendicatif et contestataire de l’œuvre. Guyodo n’est jamais dans la complaisance qu’il s’agisse de ses assemblages, ses sculptures, ses dessins ou ses tableaux. Il invente une iconographie qui s’appuie souvent sur des thématiques traditionnelles, comme le couple primordial dont parle la Bible, pour mettre en évidence des situations très personnelles où des réalités sociales et politiques voire historiques.

Pour Rose Margarette Milcé Bien-Aimé, son œuvre explore un univers très psychologique et dramatique. Elle se plonge en elle-même pour en sortir avec des ombres, têtes sans corps et des chimères lesquels expriment vraisemblablement ses doutes, ses hésitations, sa vision d’elle-même et de son environnement. Sa palette est souvent limitée à trois ou quatre couleurs ou des nuances d’une couleur. Elle nous présente souvent un univers chaotique où les personnages semblent déroutés.   

Le travail pictural de Vanessa Saint Val est thématiquement varié et entre souvent en dialogue avec sa pratique d’écriture. Plusieurs de ses toiles sont des versions picturales de ses écrits. Cela ne l’empêche pas de s’inspirer de l’actualité et les faits divers en cherchant à saisir la psychologie des personnages qui font la une des médias. C’est une approche critique de la gestion des choses publiques et de la manipulation humaine qui en découle.

Shneider Hillaire dans ses dernières créations continue d’explorer le mysticisme et les imaginaires populaires locaux et nationaux. La réception nationale et internationale de son travail sur la tradition, l’oralité et le merveilleux haïtien le fait quitter le stade d’artiste émergent pour se positionner parmi les jeunes qui redéfinissent l’iconographie picturale haïtienne, comme Jean Robert Alexis, Betho Jean-Pierre reprennent des termes traditionnels à travers d’autres visions esthétiques. C’est ainsi qu’Hilaire tout en s’appropriant de l’imaginaire nocturne haïtien, lequel était déjà présent dans la tradition artistique, rejette les couleurs vives qui caractérisaient les représentations d’avant. Il renforce le côté mystérieux en accentuant l’effet de nuit à l’aide une palette sombre. Voilà comment il parle des deux œuvres de l’exposition : 

  1. « Timoun Ki fè wonn ak lonbraj nan mitan an.

Li fè pati de yon seri ki rele " Nuits Haitiennes " Se yon seri de travay mwen fè ki gen rapò ak imajinè kolektif, se temwanyaj plizyè istwa ki rete kòm yon patrimwàn oral ke map eseye sovgade epi pataje atravè seri travay sa yo.

Tablo sa a rakonte istwa yon baka ki egziste nan yon lakou, Ki nan nan lavale Jakmèl. Souvan lè ti moun ap jwe li parèt tankou yon lonbraj nan mitan yo, Silwèt legliz la se pou fè referans ak zòn pwovens lan.

  1. ⁠ ⁠Tablo sa fè pati de yon seri ki se “ Nous et les invisibles“ Nou ak sàn pa wè yo. Mwen eseye montre lyen nou genyen ak lwa yo, ki enpak sa gen nan lavi nou, ki enfliyans sa gen sou kotidyen nou.

Tablo sa se yon sèn gerizon, kote yon dam pran lwa ki se Gran bwa. Epi lap fè yon tretman pou yon moun, lap pasel anba wòb li. »

Quant à David Thébeaud, il est connu surtout comme sculpteur. Son travail se présente souvent comme un alliage entre artisanat et art. Si dans ses bas-reliefs, il reste attaché à des sujets traditionnels comme maternités, personnages entrelacés ou superposés, mais pour ses rondes-bosses, il se fait un artiste symboliste social, politique et spirituel. Il s’attaque aux problèmes auxquels fait face le pays dans tous les domaines en utilisant des symboles. C’est un artiste engagé pour qui, la vocation artistique relève d’un véritable projet de société.

Quant aux œuvres proposées par Grégory Vorbe, elles sont marquées par la spiritualité. Celle-ci est non seulement mise en place par l’atmosphère général de l’œuvre : la composition en aplat, la posture des personnages qui se présente à nous parfois comme des ombres, parfois comme de hauts dignitaires religieux munis d’un nimbe souvent en pleine méditation, des traits qui irradient leur habit dénotant soit leur sainteté soit leur ascension mystique quand ils reçoivent dans leurs mains un faisceau lumineux.

 

Jean Robenson Joseph

Co-commissaire de l’expo « Sans-titre »

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