Vodou et science à Montréal   

Dynamique migratoire, recherche scientifique et développement culturelle, de nombreux membres de la diaspora, en particulier celles d'origine africaine  ou haïtienne, ne laissent pas toujours derrière eux, les savoirs et les outils qui participent dans le renforcement identitaire et le renouvellement des générations, à travers les représentations, les manifestations et la transmission des traditions ancestrales comme le Vodou.

Des Ougan et Manbo, à eux seuls, ne pourront pas assurer la résistance et la renaissance, encore moins la valorisation de la culture ancestrale, sans l’aide des autres secteurs, et de l’apport significatif des chercheurs qui participent dans l’exploration et l’évaluation à la fois de l’ossature et de l’architecture de la culture ancestrale, le Vodou haïtien.

Dans cette série poursuivie en cette année 2025, autour du thème : VODOU ET SCIENCE, dont les sept premiers textes viseront à saluer la mémoire de deux anciens professeurs à la faculté d’Ethnologie, feu  Jean Rosier Descardes, et feu Rachel Beauvoir, je vous inviterai à apprécier les travaux des principaux universitaires qui choisissent d’investir et de s’investir dans le Vodou, en utilisant les clés scientifiques pour ouvrir les différentes portes du temple sacré de l’identité haïtienne.

Durant les sept dernières années, entre 2017 et 2024, ils sont nombreux les universitaires, en particulier des Haïtiens d’origine, qui se sont tournés vers des recherches abordant les différents aspects du Vodou à Montréal. Une des villes canadiennes qui accueille un nombre important des Haïtiens issus de toutes les couches et les catégories socio-économiques depuis plusieurs générations. Revisitons ensemble les grandes lignes ou les angles abordés par deux des chercheurs qui répondent au nom de Claude Gilles, dans l'étude : "Oralité primaire et transmission des savoirs: étude de cas sur les pratiques du Vodou haïtien à Montréal-Nord".   Elisabeth Gagné, pour sa part, allait aborder : “Le Vodou haïtien: un recours au soins à Montréal”.

Claude Gilles: Quand l'exil des Haïtiens offre une nouvelle lune au Vodou haïtien !

Dans l'étude abordant le  thème : "Oralité primaire et transmission des savoirs: étude de cas sur les pratiques du Vodou haïtien à Montréal-Nord" Mémoire (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en communication, le chercheur Claude Gilles offre un éventail d'informations sur l'évolution et la dynamique Vodou à travers la diaspora haïtienne. 

Durant l'année 2017, la présentation de ce travail allait compléter la liste des travaux scientifiques portés par des Haïtien, dans l'univers de la recherche sur l'identité et la culture, les pratiques et les traditions du peuple d'Haïti. Les lecteurs et lectrices pourraient s'accrocher aux principaux mots clés suivants: Ethnosciences, diffusion culturelle, canadiens d'origine haïtienne, Montréal-Nord, Vodou, Tradition orale.

Dans le cas du vodou haïtien, l'oralité primaire (voir la définition à la page suivante) prédomine. Ce qui paraît aux antipodes de la civilisation écrite. La culture occidentale semble, en effet, avoir donné raison à ce proverbe : « Les paroles s' envolent, les écritures restent », ce à quoi Amadou Ham pâté Bâ ( 1900-1991) aurait certainement répliqué en se référant à la tradition orale de l'Afrique : « Quand un vieillard meurt, c' est une bibliothèque qui brûle ». Claude Gilles se questionne en s'introduisant en ces termes : “Quand il est question de l'accès aux savoirs scolaires (Steiner et Ladjali, 2003) chez les !nuits de Mashteuiatsh (Boucher, 2005) ou encore chez les Kanaks en NouvelleCalédonie (Leblic, 2010), la culture de l'oralité donne souvent lieu à des controverses. S' agit-il de l’oralité primaire, de l’oralité secondaire ou encore de l’oralité mixte lorsqu' il est question de transmettre les savoirs ? “.

Dans le résumé proposé, on peut lire ce qui suit : "Ce mémoire porte sur le rapport intime du vodou haïtien avec l'oralité, ou encore l'oraliture, appellation préférée de chercheurs afro-caribéens pour montrer la vitalité de l'art oral. Le culte vodou pratiqué à Montréal-Nord, comme cas d'étude, nous amène d'emblée à la problématique de l'oralité, au topique dualiste existant entre la civilisation du signe, donc de l'écriture, et celle du verbe, c'est-à-dire de la parole.".

Des constats pertinents à prendre en compte : " On remarque que la transmission des savoirs du vodou est très hétérogène. Les vodouisants s'appuient donc sur des rituels mélangeant chants, prières, danses, rêves, vèvè, expressions orales et gestuelles... ainsi que sur des musiques de rythmes africains pour assurer la transmission des savoirs : cérémoniels, médicaux, traditionnels, etc. Cette étude aborde l'oralité comme outil pour transmettre les savoirs en prenant comme cas d'étude le vodou haïtien pratiqué à Montréal-Nord. Elle approche aussi la notion d'identité ethnoreligieuse, car le vodou comme culte de lignage, dépourvu d'écriture, est pratiqué dans un contexte d'immigration en Occident, socialement et juridiquement contraignant.". 

Des considérations assez importantes soulignées par Claude Gilles : " L'oralité devient ainsi un savoir-faire, un savoir-vivre et même un savoir-être pour les adeptes du vodou. Ce travail traite, entre autres, le rôle de la « mémoire », une faculté qui requiert la capacité de conservation et de transmission de l'histoire, des connaissances et des traditions ancestrales laissées comme legs à la société contemporaine.

Elisabeth Gagné : Quand le Vodou gagne du terrain et offre des soins  à Montréal ?

D’après Elisabeth Gagné, dans son étude réalisée disponible dans les archives de l’université Laval, elle souligne : “La mobilisation du vodou dans un épisode de maladie repose sur un modèle explicatif de la maladie qui réfère à une vision du monde distincte. La logique d’agression (mauvais sorts) a dominé l’interprétation co-construite des souffrances témoignées dans notre étude. Les réponses discursives et pratiques partagées dans cette recherche mettent de l’avant le caractère soignant, préventif et thérapeutique du vodou.”

Dans un contexte de globalisation où les flux sont multiples, le vodou, considéré ici comme un système de soins, s’est déplacé à l’extérieur d’Haïti et se retrouve mobilisé au sein d’itinéraires thérapeutiques dans les diasporas. Ce mémoire de maîtrise porte sur la manière dont le vodou se présente et s'inscrit dans des épisodes de maladie vécus par des Haïtiens à Montréal. Pour répondre à nos objectifs qui étaient d’analyser la place du vodou dans des démarches de soins et d’analyser des réponses que donne le vodou aux problèmes de santé des Haïtiens qui le consultent, nous avons conduit une recherche qualitative exploratoire qui s’appuie sur une approche anthropologique.

Dans son introduction, en dehors du résumé proposé, on peut se : “Plonger dans la nébuleuse globalisation et les pluralismes qui en découlent, c’est s’immerger dans une diversité incroyable de modes de pensées, de productions et d’expressions. C’est le cas dans le champ de la santé où un pluralisme médical se décline en une multitude de systèmes médicaux officiels et non officiels (alternatifs, parallèles, traditionnels ou complémentaires; les termes abondent) qui cohabitent et s’influencent en même temps qu’ils se déplacent et se renouvellent perpétuellement.”.

Devant la panoplie des ressources de soins possibles, les gens ne puisent pas aux mêmes sources; ils useront tantôt de telle médecine tantôt d’autres, en les remaniant à leur façon. “Les paysages pluriels du Canada et du Québec reflètent ce monde actuel en constante mouvance, fusion et transformation.”, poursuit la chercheuse dans le cadre de sa production scientifique pour le programme de maîtrise en santé Communautaire – santé mondiale.

Délimitation du sujet, entre la dynamique Vodou et la ville de Montréal, l’auteure confirme et confie : “Notre terrain de recherche s’est déroulé dans la communauté haïtienne montréalaise à l’hiver 2015. Afin de comprendre le sujet d’un point de vue émique, nous avons réalisé des entretiens individuels semi-dirigés auprès de onze participants (trois personnes dont le parcours thérapeutique incluait le vodou, deux praticiens vodou et quatre informateurs clés).”.

De même, l’observation a fait partie de nos techniques d’enquête. Nos résultats révèlent que le vodou côtoie plusieurs recours de soins (chamanisme, maraboutage, franc-maçonnerie, églises catholiques et protestantes, biomédecine) dans une recherche de guérison. Il se manifeste sous diverses formes visuelles autant dans des espaces collectifs que privés. Il s’avère être un choix dans des contextes hétérogènes desquels il est difficile de tirer des généralisations; les motifs de sollicitation du vodou, le moment, la durée de fréquentation d'un praticien vodou et la fréquence sont variables.

Des précisions qui ouvrent la voie vers d’autres pistes de recherche. En attendant, on retiendra selon la chercheuse Elisabeth Gagné, que : “ La mobilisation du vodou dans un épisode de maladie repose sur un modèle explicatif de la maladie qui réfère à une vision du monde distincte. La logique d’agression (mauvais sorts) a dominé l’interprétation co-construite des souffrances témoignées dans notre étude. Les réponses discursives et pratiques partagées dans cette recherche mettent de l’avant le caractère soignant, préventif et thérapeutique du vodou.”.

 

Dominique Domerçant

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