« De purs hommes », un regard pénétrant sur l’homosexualité

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Mohamed Mbougar Sarr, jeune prodige Sénégalais, 31 ans, prix Goncourt 2021 avec La plus secrète mémoire des hommes, éd Philippe Rey, a publié en 2018, toujours chez Philippe Rey en coédition avec Jimsaan, De purs hommes, un roman très percutant qui aborde un sujet assez difficile : L’homosexualité.

L’histoire

Ndéné Gueye, professeur d’Université, reste profondément troublé depuis la vue de cette vidéo filmée à Dakar d’un homme déterré par des hommes en furie, dont le cadavre a été outragé. Depuis l’intime de sa chambre, Ndéné et sa partenaire bisexuelle, Rama, commentent la vidéo dont la violence frappe. Très probable que ça soit le cadavre d’un góor-jigéen (Homosexuel, en wolof).  Le sujet est à prendre avec des pincettes. On est sur le fil du rasoir et une affaire comme l’homosexualité, ça fait souillure et ce, même entre les plus proches, même en famille.  Depuis, nous suivons ce professeur, habité par ses propres doutes. Comment trouver le courage d’être pleinement soi, sans se trahir ni se mentir, et quel qu’en soit le prix ?

 

Dans une société Sénégalaise profondément aigre envers l’homosexualité, comme Sarr le laisse comprendre dans son roman, Ndéné, narrateur de l’histoire, protagoniste autour duquel virevoltent les autres personnages dont les rôles n’en demeurent pas moins secondaires, pousse sa curiosité au plus haut point. « Qui était cet homme ? Quelle avait été sa vie ? Comment avait-on su qu’il était góor-jigéen ? »

 

Des personnages incarnés

Le ton du roman de Sarr est vif, direct comme un uppercut. La langue est assez limpide et on suit les personnages qui sont eux-mêmes très incarnés. Ndéné Gueye, par exemple, nourrit une série de doutes autour de lui, et on réalise bien vite, astuce de maître, que c’est volontaire avec Sarr. Ndéné est un brillant intellectuel qui émet des réflexions assez profondes sur l’autre, mais en même temps, il se débat avec le schéma classique imposé autour de lui, quitte à affronter le regard dur, voire, extrêmement sévère de la société. On ne parle pas d’un simple regard. On parle du risque de laisser sa peau, de se faire littéralement lyncher. Au final, Ndéné perdra sa chaire et entre ses bouleversements internes, il finira par faire son choix. « Tout le monde ici est prêt à tuer pour être un apôtre du Bien. Moi, je suis prêt à mourir pour être la seule figure encore possible du Mal. » C’est sur ces phrases que prend fin le roman.

En plein cœur du récit, il y a Angela, jeune fille très belle, très libérée autant que son amie et/ou partenaire Rama (Avec ce roman, il faut faire très prudent avec les titres) qui retourne au Sénégal après avoir soutenu sa thèse de droit à Yale. Le personnage, qui ponctue souvent ses répliques, de quelques formules anglaises, comme un trait caractéristique, exsude sa grâce et sa sensualité. Avec Rama et Angela surtout, on se croirait en face de l’une de ces Miz de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? de Dany Laferrière. Angela et Rama sont très sexy. Cependant, très implacable aussi face à l’homophobie.

Un roman intègre

L’une des forces majeures de « De purs hommes », c’est qu’il aborde de front le sujet sensible que représente l’homosexualité en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Le roman est vrai, sincère. Le roman est intègre en ce sens qu’il touche la thématique dans ses dimensions les plus fragiles. Si l’auteur est contre l’homophobie (on le voit en suivant bien son narrateur jusqu’à la fin), il n’en demeure pas moins vrai qu’il étale son histoire sans prétention moralisatrice. Il y a un souci du récit. Décrire les sons intérieurs, les doutes intérieurs. Atteindre le lecteur, la lectrice, depuis sa liseuse ou son livre papier pour l’inviter à réfléchir, à méditer, à se démarquer de soi-même, quelle que soit son orientation, pour aller vers l’autre. C’est aussi un roman de l’autre, enfin. On a l’impression que Sarr veut saisir une plaie d’une main forte et l’exposer pour que tout le monde prenne sa part de responsabilité. Deux scénarios assez marquants du livre :

 

Cheikh Majmout Gueye, le père de Ndéné, Ndéné et sa marâtre Adja Mbène se retrouvent ensemble. L’extrait commence par une question de Ndéné adressée à son père :

« – Si vous aviez eu un enfant góor-jigéen, qu’auriez-vous fait ?

Voilà, je n’avais pu retenir la question. Elle s’était échappée hors de mon esprit et de mes lèvres par effraction. Adja Mbène leva sur moi des yeux apeurés, et les baissa aussitôt. Je sentis qu’elle ne voulait pas répondre avant son mari. C’était à lui de s’exprimer sur une question aussi dangereuse. Mon père, lui, n’avait pas bougé dans son grand fauteuil, mais j’avais senti le frémissement profond qui l’avait saisi, un frémissement qu’une grosse veine subitement apparue à sa tempe droite, en forme d’un T, avait trahi. Silence d’éternité. Ses yeux flamboyaient d’une colère que je n’avais pas vue depuis longtemps. Sa voix s’abattit comme un orage métallique.

– Ta question ressemble à une insulte. Je n’ai pas d’enfant góor-jigéen. Et même si j’en avais un…

Il se tut, comme s’il ne savait pas quoi dire après ça. Quelques secondes. Il finit par continuer :

– Si j’en avais eu un, ce serait ma faute : c’est que j’aurais failli à l’éduquer, à faire de lui un vrai homme et un bon musulman.

– Oui, mais tu ne me dis toujours pas ce que tu aurais fait, papa. Et c’est ça que je veux savoir : ce que tu aurais fait. Ce que tu aurais fait de lui. Comment tu aurais réagi. »

 

Presqu’enfin du roman, il y a cet épisode où Ndéné se surprend à tomber en amour pour les yeux d’un homme, Yatma Ndoye. Cela crée de grands soubresauts en lui, une grande confusion :

« De quoi as-tu peur, Ndéné ? D’être devenu un petit pédé ? T’as peur de ce que ce regard te fait ? Toi, grand et fier hétéro historique, toi qui n’aimes et n’as jamais aimé que les femmes, les seins aux grandes aréoles granulées, les fesses des femmes, leur nuque fine et sensuelle, les odeurs de leur sexe, leurs manières d’être au monde et de le voir, toi pour qui la galaxie féminine a toujours été d’autant plus désirable que tu savais ne jamais pouvoir l’atteindre ni la comprendre, tu serais devenu góor-jigéen ? Comment ! Toi, musulman de culture, fils d’un homme pieux qui a failli être imam, toi qui, enfant, as suivi l’école coranique, toi qu’on a élevé, éduqué, instruit dans la vertu de ce pays, tu serais devenu une tarlouze ? T’as peur de t’imaginer à quatre pattes, rudement enculé par un colosse à la queue nerveuse et rainurée ? Tu crains de te sentir attiré par un corps mâle nu ? T’as peur de la solitude, de la souffrance, du silence où te plongerait le fait d’être l’un d’eux ? Tu as peur de la foule qui viendrait t’arracher les yeux ? Toi, l’homme des foules, disais-tu ! Tu y es quelqu’un et quelconque, non ? Ah, lâche, tu crains la foule qui veut ta mort ! T’as peur de mourir ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Elle aurait donc raison, la rumeur ? Que ferais-tu alors ? Que feras-tu ? Que vas-tu faire ? Te tuer ? Es-tu prêt à te supporter en homosexuel glorieux ? Réponds, imbécile !»

S’arrêter sur soi-même pour mieux cohabiter avec l’autre, quelles que soient nos différences

« De purs hommes » de Mohamed Mbougar Sarr, très controversé au Sénégal au lendemain du prix Goncourt (Allez lire l’article LGBT : le prix Goncourt Mohamed Mbougar Sarr fait polémique au Sénégal publié par Le Figaro le 07/11/2021 à 12:41, mis à jour le 07/11/2021 à 19:21[i]) , tout comme l’histoire que raconte le livre, est un roman qu’il convient de lire parce que ça jette un regard osé, profond, sensible, philosophique sur la condition humaine tout court. C’est un bon livre car cela permet de s’arrêter sur soi-même pour mieux aller vers l’autre, pour mieux cohabiter avec l’autre, et ce, quelles que soient nos différences. Un must-read pour reprendre cette formule américaine.

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